La pluridisciplinarité peut avoir plusieurs atouts pour les
professionnels de santé. Si nous avons vu dans un précédent billet comment il
était nécessaire de développer une problématique commune pour être plus
efficace auprès du patient, les moments de travail collectif peuvent aussi être
l'occasion de faire « parler son métier ».
Ravon a voulu mettre en avant cet aspect du travail d'équipe en prenant comme exemple l'une de ses interventions dans un établissement de protection de l'enfance [1]. « Faire équipe » consisterait avant tout à faire parler ensemble le métier de chacun, c'est en tout cas son hypothèse de départ en utilisant des ateliers de réunion pluriprofessionnelle.
Ravon a voulu mettre en avant cet aspect du travail d'équipe en prenant comme exemple l'une de ses interventions dans un établissement de protection de l'enfance [1]. « Faire équipe » consisterait avant tout à faire parler ensemble le métier de chacun, c'est en tout cas son hypothèse de départ en utilisant des ateliers de réunion pluriprofessionnelle.
Il est fréquent d'entendre dans le monde du travail et à
fortiori dans le soin que « c'est l'expérience qui parle » mais
paradoxalement le professionnel n'a rien à dire puisque que son métier parle
sans la nécessité de l’interroger ou de le justifier.
Faire équipe suppose de savoir tirer les leçons des
expériences professionnelles problématiques, de savoir traverser les épreuves de professionnalité [2].
L’issue des épreuves peut être négative : l’analyse des situations d’usure
montre que l’incapacité à traverser les épreuves se traduit par un
désengagement silencieux. Autrement dit, le professionnel se met en retrait
face ces tâches éprouvantes. L’usure des travailleurs sociaux se manifeste non
pas par la perte du geste professionnel, mais par celle du sens du métier. Au
contraire, les issues apparaissent positives lorsque l’accès à l’expérience est
médiatisé par un acte de parole [3].
L'auteur continue sa démonstration en prenant en exemple une
sollicitation qui lui a été faite pour constituer un groupe d’analyse de la
pratique auprès de l’ensemble des personnels de l’établissement.
A la première réunion, la directrice pointe d’emblée le
problème : « L’équipe ne se parle plus. »
De plus, autour de la grande table de réunion, un regroupement des professionnels par
familles de métier peut montrer au moins trois lignes de clivage : entre
l’équipe de direction et le personnel ; entre les professionnels s’occupant des
enfants de moins de 3 ans et ceux intervenant auprès des enfants plus grands ;
entre les spécialistes de l’éducatif (psychologues, éducateurs,
moniteurs-éducateurs, éducateurs de jeunes enfants) et ceux du soin et des
tâches domestiques (auxiliaires puéricultrices, veilleuses de nuit, maîtresses
de maison, cuisinières).
L'objectif pour Ravon sera de construire un espace collectif
d’élaboration des situations, centré sur l’activité lorsqu’elle est empêchée,
où la subjectivité de chacun est engagée
L'auteur insistait enfin sur l’extension des pratiques de care
dans le travail social, d’une part pour rendre compte de l’écrasante majorité
de femmes dans l’assemblée et d’autre part pour souligner l’un des enjeux de la professionnalité, à savoir transformer des
compétences « primaires » (maternelles, affectives, familiales, domestiques) en
compétences « secondaires », c’est-à-dire professionnelles.
Le care recouvre les pratiques qui consistent à prendre soin
des personnes vulnérables majoritairement assumées par des femmes. Les
professionnelles du care sont généralement en situation de précarité et leur métier
(souvent du « sale boulot ») est dévalorisé. Enfin, ces pratiques s’appuient
sur un jugement moral sensible, plus attaché à ce qui arrive en situation qu’à
des principes abstraits universels prédéfinis [4].
La première réunion débuta en demandant aux maîtresses de
maison leur conception de l’ordre et c’est la cacophonie alors qu’elles
semblaient très groupées, unies et solidaires. Il y eut également des exemples
de quiproquo entre éducateur et maitresse de maison sur la place que devait
avoir un balai. Aussi singulier que cela puisse paraître, le « balai » mettait en jeu le
respect du travail, le respect de l'outil et de la personne et la question de
la prévalence éducation/domestique.
Plusieurs remarques ont pu être formulées sur ces réunions
pluriprofessionnelles :
- L’annonce de la reconfiguration du cadre du dispositif
d’analyse a permis de délier les langues, par introduction d’une possibilité
critique, en premier lieu du cadre lui-même. Un lien peut être ainsi établi entre
la structuration progressive du dispositif et la structuration progressive d’un
« faire équipe ».
- La série de controverses opposant les tâches domestiques
et les tâches éducatives, soutenue par un regard informé du care, les
éducateurs (comme d’ailleurs l’équipe de direction) semblent solidaires d’un
savoir psychologique qui leur donne une certaine autorité dans la conduite de
la relation éducative. Quant aux professionnels « domestiques », ils sont
attachés à la reconnaissance de la dimension affective de leur métier comme une
compétence professionnelle.
- Par son allure conversationnelle : Les
professionnelles se reconnaissent entre elles ; elles se requalifient les unes
par rapport aux autres, à partir de ce qui les différencie.
Figure 1 : Schéma récapitulatif des composantes d'une réunion entre soignants
Figure 1 : Schéma récapitulatif des composantes d'une réunion entre soignants
L’analyse des situations de travail centrée sur
l’exploration des malentendus des professionnels de différents corps de métier
qui y sont engagés est une activité essentielle à la vie d’une équipe. Ravon
soutient à travers cet exemple que la
généralisation de la souffrance au travail est partout liée à la même
impossibilité : celle de donner aux collectifs de travail les moyens de définir
et d’exercer un travail de qualité
Alors il faut avoir l’exigence de mener collectivement un «
travail sur le travail » [5]. L’équipe est le résultat du travail
réflexif qui se trame petit à petit à partir de controverses, lesquelles
obligent à des ajustements et des accordages. Concluant son propos :
« L’équipe est en ce sens un collectif rassemblé par des épreuves partageables
et non par des appartenances ou des conceptions communes. »
Avis du Gerar :
C'est un article permettant aux soignants, qui auaient cette
fâcheuse tendance à s'analyser de façon subjective, de lire un point de vue
externe et objectif sur les interactions d'une équipe. Notamment, cet extrait
révèle bien l'esprit de la problématique traitée : « Entre le silence
et la cacophonie, il y a des moments polyphoniques, où chacun joue sa
partition, mais l’ensemble sonne non pas d’une seule voix, mais d’une même
tonalité. Ces moments où l’équipe tend à « accorder ses violons » est en fait
un moment où les professionnels arrivent à se mettre d’accord sur leurs
désaccords. » Cela souligne l'existence des controverses mais aussi leur
nécessaire viabilité au profit de débats trop souvent aseptisés.
Le travail en équipe peut révéler un mal être sous-jacent à
la pratique professionnelle (ici soignante). Ce qui se perd quand le dialogue
est délétère entre chaque professionnel et ce n'est pas la forme du métier mais
bien le fond, le pourquoi de ce métier, qui diminue en substance. D'une part,
cela laisse supposer une dépréciation du métier à long terme pour le
soignant ; d'autre part, cela explique peut-être l'émergence de branches
de métier dites « nouvelles » pour donner un nouveau souffle à ce qui
constitue l'essence même du corps de métier. Pour ce qui concerne le monde des
soignants, nous vous invitons à explorer l’histoire de nos métiers, de nos
soins et leur place dans nos sociétés, par exemple pour la thérapie physique.
Si de nombreux staff médicaux et paramédicaux ont été
instaurés et institutionnalisés, ils ne dépassent que très rarement le champ du
patient et du soin à lui promulguer. Ce serait ignorer qu'un soignant agit bien
au delà de la prescription du soin. Sa cohésion avec les autres soignants
concerne un champ plus large que le soin proprement dit.
NS.
NS.
[1] Ravon B. « Refaire parler le métier » Le travail
d'équipe pluridisciplinaire : réflexivité, controverses, accordage. Nouvelle
revue de psychosociologie. 2012/2 n° 14, p. 97-111. accès résumé.
Références tirées de l’article ci-dessus :
[2] RAVON B. « Travail social, souci de l’action publique et
épreuves de professionnalité », dans C. Felix, J. Tardif (sous la direction
de). Actes éducatifs et de soins, entre éthique et gouvernance. 2010 version
électronique. accès texte intégral [3] Ravon B., Decrop G., Ion J., Laval C. et Vidal-Naquet P. Usure des travailleurs sociaux et épreuves de professionnalité. Les configurations d’usure : clinique de la plainte et cadres d’action contradictoires , Modys-CNRS/ONSMP-Orspere, rapport pour l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES). 2008. mai. [4] PAPERMAN P., LAUGIER S. (sous la direction de). Le souci des autres : éthique et politique du care. 2006. Paris, EHESS. accès résumé ouvrage [5] CLOT Y. Travail et pouvoir d’agir. 2008. Paris. PUF. accès résumé ouvrage
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