L’efficacité du travail d’équipe est une stratégie
recherchée par les professionnels mais aussi par les dirigeants. La littérature
scientifique s’intéressant au travail d’équipe et aux approches pluridisciplinaires,
souligne que le travail d’équipe permet une meilleure cohésion d’équipe et une
amélioration de la sécurité des prises en charge pour le patient.
Ce travail
d’équipe est un concept complexe à prendre en compte et à définir de façon
précise. Souvent le dynamisme interprofessionnel est développé depuis quelques
années mais peu d’études qualitatives s’y intéressent.
Jones et Jones en 2011 [1]
dans le Journal of Interprofessional Care s’y sont intéressés. Cette étude
réalisée chez nos voisins anglais s’intéresse donc à la perception que
possèdent les personnes d’une équipe sur la notion de cohésion ou d’ambiance au
sein d’une équipe.
Pour leur expérimentation, Jones et Jones ont restreint leur
champ d’action sur l’aile d’un hôpital contenant une trentaine de lits dans un
service de gériatrie. Cette étude comporte 2 grands temps : Un temps
d’observation et un temps d’action. Lors du temps d’observation les auteurs ont
pris des notes et ont analysé les différentes situations pouvant être améliorées.
Des professionnels de santé volontaires, 12 au total, ont également été
interviewés via des questionnaires semi-directifs afin de connaitre l’ambiance
du service. Ensuite une équipe pluridisciplinaire, comprenant des
professionnels du service mais aussi personnes extérieures au service, s’est
créée afin de trouver des réponses au manque de communication et de cohésion au
sein de l’équipe évoluant dans l’aile du bâtiment concernée. Trois changements
furent décidés par ce comité de pilotage afin d’améliorer la qualité des soins
et le travail d’équipe.
- Rendre plus accessible et adjacent les salles où les patients sont pris en charge afin que les thérapeutes puissent se croiser plus facilement
- Des staffs journaliers et hebdomadaires ont été annexés au planning de chaque thérapeute afin que les décisions soient plus réfléchies et mieux adaptées lorsque tous les acteurs qui gravitent autour du patient se coordonnent autour d’un projet thérapeutique individualisé.
- Des groupes de travail sous forme de « workshops » se sont mis en place pour aider les professionnels à se coordonner et comprendre les stratégies favorisant un changement d’organisation du travail et de mentalités concernant le travail en équipe.
Après ces changements, les auteurs ont réalisé 2 sessions d’entretiens.
Les données de ces interviews furent analysées par un groupe indépendant issu
de différentes disciplines afin que celles-ci soient comparées à celles de la
littérature. 4 thèmes furent approfondis : la confiance entre
professionnels, la sécurité des professionnels ainsi que des personnes prises
en charge, les médiations et leurs effets lors des conflits et enfin
l’autonomie du professionnel et sa place au sein de l’équipe.
La confiance : Lorsque les professionnels se font confiance,
tiennent leur parole et réalisent ce qu’ils énoncent, cette notion est un élément
sécurisant au sein d’une équipe. Avant, celle-ci semblait être négociée et
environnement ou tâches dépendantes. A la suite des changements, et malgré la
difficulté des auteurs à objectiver une augmentation de la confiance
interprofessionnelle, le sentiment de confiance mutuelle était augmentée.
La sécurité : Pour les auteurs, la sécurité est
étroitement (re)liée à la notion de confiance inter et intra professionnelle.
Afin de quantifier les évolutions post changement, les auteurs se basent sur
les incidents au sein de l’aile étudiée lors de la phase expérimentale de
l’étude. Jones & Jones remarquent alors une diminution des événements
indésirables ou incidents. Vous trouverez ci-dessous les résultats.
Les conflits : Un conflit intervient lorsque des
professionnels entre eux ne possèdent pas la même vision sur une ou plusieurs
thématiques. Souvent, leurs relations deviennent incompatibles du fait d’un
différend personnel ou professionnel. Durant les entretiens, aucun des
professionnels interrogés ne critiquèrent ouvertement un professionnel mais
plutôt l’équipe ou le groupe. La résolution des conflits au sein d’une équipe
est plus simple à réaliser lorsque toute l’équipe travaille dans le même sens
vers un objectif commun. Bien que les conflits soient inévitables, il s’avère
que ceux-ci soient diminués lorsque la confiance interprofessionnelle est
élevée et/ou bien établie entre chaque professionnel.
Autonomie : Jones & Jones fondent leur analyse sur l’autonomie
épistémologique que possède une science par rapport à l’autre. Ce qui revient à
comparer les métiers entre eux et sur quelles compétences/connaissances ces
métiers se chevauchent tout en restant complémentaires. Creusant un peu plus
cette notion, ils se raccrochent aux concepts de satisfaction du travail
réalisé mais aussi de reconnaissance interprofessionnelle.
Prenant le parti que ces thématiques jouent sur la présence
des professionnels, les auteurs ont comparé les absences et les arrêts maladies
des personnes entre le temps d’observation et le temps expérimental. Selon la
littérature, un haut niveau d’autonomie professionnelle permettrait une
meilleure satisfaction personnelle et une meilleure cohésion de groupe. Les
auteurs ont observés une diminution des absences et congés maladies
En conclusion les auteurs soulignent les limites de leur
investigation en insistant sur le peu de données traitées (12 personnes) et
donc sur l’impossibilité de généraliser sur l’ensemble de l’établissement. Il
semblerait quand même qu’une amélioration de la confiance inter professionnelle
soit une condition sine qua non pour observer une meilleure cohésion d’équipe
et une efficience du travail. Et malgré l’envie identitaire de chaque
professionnel en terme d’autonomie, il s’avère que dans certains cas, celle-ci
soit mise de côté pour le bien l’équipe et son travail.
Avis du GERAR :
Pour répondre au titre de cet article il suffit de suivre la
recette:
- Augmenter les temps de rencontre entre professionnels d’un même métier mais aussi entre professionnels de différents métiers.
- Les faire participer à des travaux/staffs autour de la cohésion d’équipe.
- Placer une autorité qui puisse donner une autonomie aux professionnels, mais aussi une ligne directrice.
- Rassembler les professionnels dans un même lieu afin qu’ils puissent cohabiter et travailler ensemble.
Pourtant…
Ces moments de rencontres ne produisent pas d’activité, certes,
ce discours économique reproche aux réunions ou aux différents staffs mis en place un manque à gagner en terme de
prise en charge, donc une perte de rendement. Mais dans ce cas, comment
voulez-vous donner une direction à une équipe lorsque celle-ci ne se retrouve
pas pour discuter. Au niveau personnel et copiant la démarche EBM, difficile de
prendre en charge une personne si vous ne l’avez pas évaluée. C’est une séance
de « perdue » pour certains car basée sur l’évaluation et
l’entretien, mais celle-ci est essentielle pour ne pas perdre du temps plus
tard dans la prise en charge. Et pour ceux qui utilisent le PMSI et qui cotent
selon le nouveau catalogue des actes du CsARR il existe un code ZZC+221 :
Synthèse interdisciplinaire…
La cohésion d’équipe implique différentes notions
subjectives, attitudes et comportements des personnes. Certains cadres ou chefs
d’équipes ne semblent pas se préoccuper par celle-ci. Peut-être sont-ils trop
impliqués dans un rôle de leadership et non de management. A ce propos, voici une
vidéo intéressante sur
la différence entre ces 2 notions. A méditer.
L’autonomie professionnelle peut se retrouver dans la
prescription médicale. Celle-ci peut être trop restrictive et intégrer des
objectifs qui ne collent pas avec la profession. Pourquoi ne pas faire des présentations
sur chaque profession aux autorités prescriptives afin de leur expliciter le
rôle et la place de chacun autour du patient. Rappelé plus haut dans l’article,
l’autonomie professionnelle peut parfois être mise de côté pour le bien de
l’équipe tant qu’une communication existe…
La configuration des lieux de travail n’est pas toujours
adaptée au travail en équipe. Les bâtiments où d’autres professionnels
travaillent dans les étages ou dans des salles éloignées les unes des autres, posent
des limites en terme de communication. Allez à la rencontre de vos collègues,
et si vous manquez de temps, les réunions de service sont faites pour ça. Il
semble donc important que ces remarques concernant les agencements ou
l’architecture du lieu de travail soit pris en compte pour un architecte en
collaboration avec des ergonomes et certains professionnels qui évolueront dans
ce nouveau lieu.
Woodcock - Lien |
Malgré ces remarques, l’article ne propose que peu d’outils
d’évaluation objectifs comme des échelles, des questionnaires sur lesquels se
rattacher. Les fans de statistiques ne s’y retrouveront pas car ils sont
absents. Par contre, les auteurs ont retranscrit certains passages des
entretiens et c’est surprenant à quel point le discours de certains
professionnels peut ressembler à celui que nous pouvons avoir sur nos lieux de
travail.
Nous pouvons aussi se poser la question de la pertinence et
la qualité des staffs. Là aussi, peu d’informations, il est pourtant rare de ne
pas voir des questionnaires de fin de formations afin de pouvoir noter la « performance »
de l’orateur et/ou de la formation. Le manque d’objectivité ne nous renseigne
pas sur l’intérêt des professionnels à ces staffs : présentiel, échelles
qualitative, etc.
Les auteurs ont fait le choix de limiter les preuves d’une
amélioration du travail en équipe à la baisse des évènements indésirables et à
la prise des congés maladies, mais est-ce de bons critères ?
Et vous ? Comment ça se passe sur le terrain ?
Cet article est en accès restreint mais pas celui du GERAR,
alors n’hésitez pas à le diffuser.
Bibliographie :
[1] Jones A, Jones D. Improving teamwork, trust and safety:
An ethnographic study of an
interprofessional initiative. Journal of Interprofessional
Care, 2011, 25: 175–81. Accès restreint.
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