28.11.13

Prescrire l'activité physique, le sport : une impasse ?

   La question de la prescription de l'activité physique [AP] est une question d'actualité. L'emploi du terme « prescription » pose la responsabilité de l'inactivité physique sur les épaules des professionnels de la santé et plus particulièrement des médecins. De nombreuses études ont évalué l'efficacité du conseil à l'AP durant une consultation en médecine générale. La majorité obtienne des effets modérés à court terme [1]. A la vue de ces résultats et du problème de santé publique que représente le manque d'AP chez les enfants, adultes, malades chroniques ou personnes âgées, de nombreux acteurs de la santé s'interrogent sur le manque ou l'absence de promotion de l'AP par le personnel médical [2,3].


  Tous comportements de santé confondus [tabac, alimentation, AP], le conseil spécifique à ces comportements représente 42 secondes en moyenne du temps de la consultation parmi des médecins américains [n = 4454] [4]. Plus spécifiquement, une étude brésilienne incluant 2120 sujets souligne que 71 % d'entre eux déclarent ne jamais avoir reçu de conseil ou prescription d'AP de la part de leur médecin [5].
   Un nombre croissant d'études quantitatives et qualitatives ont tenté d'identifier les facteurs influençant la promotion de l'AP chez des médecins, infirmières et internes [6,7]. Les facteurs influençant cette pratique peuvent être catégorisés comme suit : organisationnels (e.g., type de consultation, remboursement, temps), spécifiques aux professionnels de santé (e.g., spécialité, informés des recommandations, croyances), et les caractéristiques des patients (e.g., adhérents au traitement, propension perçue au changement de comportement).

   Parmi l'ensemble de ces facteurs identifiés, les habitudes propres en terme d'AP des professionnels de santé expliquent le plus la propension à la promotion de l'AP [6]. A titre d'exemple, une étude québécoise chez 700 médecins généralistes a exploré les facteurs les  incriminés dans le conseil à l'AP. La pratique d’AP régulière des médecins est le facteur le plus explicatif. Les facteurs identifiés par la suite étaient : une expérience médicale de plus de neuf ans, être moins affectés par la surcharge de travail et un niveau élevé d'efficacité personnelle élevé à la promotion de l'AP [9]. Ces résultats laissent à penser que les interventions de formation ou d'information auprès des médecins dans un objectif de promotion de l'AP ne pourraient avoir qu'un effet modéré à faible.

   Pour compléter, une enquête américaine réalisée parmi 4501 médecins généralistes illustre l'impact de la quantité d'AP hebdomadaire sur la fréquence de conseil à l'AP. Les auteurs comparaient le conseil à l'AP en fonction de leur niveau d'AP personnel [mesuré par questionnaire[8]. Parmi les sujets interrogés, 41 % font état d'une AP équivalente ou supérieure aux recommandations (i.e., AP supérieure à 150 minutes par semaine). Lorsqu’on compare leur fréquence de conseil à l'AP actifs versus non actifs, 22.8 % versus 16.4 % conseillent l'AP à chaque visite de patient.

   L'impact du niveau d'AP des professionnels de santé sur la recommandation de l'AP a aussi été retrouvé pour des infirmières libérales, des jeunes internes, des oncologues [10] et des tabacologues. Au Royaume-Uni, une enquête auprès de 170 tabacologues suggère que seulement 56 % d'entre eux promeuvent l'AP durant leur consultation [11].

   Même si ces résultats semblent sans surprise, ils sont assez peu connus par les professionnels de la santé et les décideurs. De plus, ceux-ci illustrent bien le décalage que l'on peut retrouver entre les connaissances médicales portées par la médecine factuelle et les freins endogènes à la mise en pratique des recommandations. La promotion de l'AP dans le domaine de la prévention primaire, secondaire et tertiaire devrait à l'avenir se baser sur une approche pluridisciplinaire prenant en compte les caractéristiques des usagers et des professionnels de la santé. La mise en réseau des professionnels de la santé avec des spécialistes de l'AP pour la santé est la meilleure réponse à ce jour. L'initiative née au Royaume-Uni, l'Exercise Referral Systems (ERS) fait l'objet d'un développement et d'évaluations depuis plus de 10 ans. L’ERS est développé dans le but de construire des partenariats entre la santé et le milieu de l’AP afin d’améliorer la prise en charge des patients. Il est basé sur des preuves, l’expérience de professionnels et sur des bonnes pratiques reconnues. L'ERS repose sur une prise en charge systématiquement individualisée (et non individuelle) dans laquelle il est nécessaire de pour le professionnel de santé : d'établir un accord formel pour une sélection de patient, de fournir une évaluation de celui-ci et d'identifier ses besoins spécifiques. Pour plus d'informations, voir les références spécifiques au bas de l'article.


Bibliographie

[1] Carroll JK, Fiscella K, Epstein RM, Jean-Pierre P, Figueroa-Moseley C, Williams GC, et al. Getting patients to exercise more: a systematic review of underserved populations. J Fam Pract. mars 2008;57(3):170‑176, E1‑3, 1 p following E3. Accès libre.  [2] Maes L, Van Cauwenberghe E, Van Lippevelde W, Spittaels H, De Pauw E, Oppert J-M, et al. Effectiveness of workplace interventions in Europe promoting healthy eating: a systematic review. Eur J Public Health. oct 2012;22(5):677‑683. Accès libre  [3] Van Sluijs EMF, Kriemler S, McMinn AM. The effect of community and family interventions on young people’s physical activity levels: a review of reviews and updated systematic review. Br J Sports Med. sept 2011;45(11):914‑922. Accès restreint  [4] Stange KC, Jaén CR, Flocke SA, Miller WL, Crabtree BF, Zyzanski SJ. The value of a family physician. J Fam Pract. mai 1998;46(5):363‑368. Accès restreint  [5] Hallal PC, Lee I-M. Prescription of physical activity: an undervalued intervention. Lancet. 2 févr 2013;381(9864):356‑357. Accès restreint  [6] Fie S, Norman IJ, While AE. The relationship between physicians’ and nurses’ personal physical activity habits and their health-promotion practice: A systematic review. Health Educ J. 1 janv 2013;72(1):102‑119. Accès restreint  [7] Lobelo F, Duperly J, Frank E. Physical activity habits of doctors and medical students influence their counselling practices. Br J Sports Med. 2 janv 2009;43(2):89‑92. Accès restreint  [8] Frank E, Bhat Schelbert K, Elon L. Exercise counseling and personal exercise habits of US women physicians. J Am Med Womens Assoc 1972. 2003;58(3):178‑184. Accès restreint  [9] Lestage K. Promotion de l’activité physique des médecins omnipraticiens auprès de leurs patients. 3 juin 2013 (cité 14 nov 2013); Accès libre.  [10] Karvinen KH, DuBose KD, Carney B, Allison RR. Promotion of physical activity among oncologists in the United States. J Support Oncol. févr 2010;8(1):35‑41. Accès libre  [11] Everson E, Taylor AH, Ussher M. Determinants of physical activity promotion by smoking cessation advisors as an aid for quitting: support for the Transtheoretical Model. Patient Educ Couns. janv 2010;78(1):53‑56. Accès libre

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