27.7.13

Le placebo comme une « hypothèse suffisamment bonne »

     Afin de tourner la page avec les posts en rapport avec l'effet placebo, Schenk et Roland [1] nous proposent de réfléchir sur l’idée que suggère le terme de placebo sous forme d’un article original. Ils développent dans un premier temps une réflexion autour de la représentation cérébrale du processus placebo et dans un deuxième temps le traitement de la douleur suivant les circonstances de survenue. Ce qui est abordé dans cet article est la dimension analgésiante de l’effet placebo qui apparait comme un effet hautement subjectif. Ces deux sujets vont pouvoir démontrer la problématique des auteurs pour le placebo comme une « hypothèse suffisamment bonne ».
      Tout d’abord, l’effet placebo permet surtout d’accroître le pouvoir de l’agent actif mais n’est pas considéré comme un substitut de la thérapie évaluée. Ce phénomène peut être assimilé au concept pavlovien qui sous-entend un renforcement, une acceptation de l’effet placebo se faisant par apprentissage en association à d’autres phénomènes.

      Reprenons quelques données récentes sur les mécanismes neuronaux de la douleur et de l’analgésie faisant participer les régions cérébrales. Toute stimulation d’intensité élevée, active les récepteurs de la douleur suivant leur seuil d’excitation. Elle code la configuration de l’organe stimulé ; ce que les auteurs caractérisent comme « ce qu’il y a dans le monde ». Les lésions tissulaires accompagnées d’une réponse inflammatoire stimulent également les nocicepteurs. Cette sensation perçue souvent comme inconsciente retranscrit le caractère agréable ou désagréable, autrement dit, « ce que cela me fait ». Dans le cas de la nociception, l’image de « ce qu’il y a dans le monde » est éclipsée par la dimension émotionnelle. Les voies de la nociception se répercutent sur plusieurs étages cérébraux. Le cortex somato-sensoriel permet la perception, la description objective et accompagne l’identification du phénomène. L’activation des circonvolutions du lobe de l’insula (situé au niveau du sillon de Sylvius du cortex) contribue à l’élaboration de cette sensation avec ses dimensions végétatives, hédoniques, motivationnelles et cognitives. La douleur ressentie émerge ainsi d’une interprétation complexe de l’ensemble des données sensorielles. Le cortex préfrontal et le cortex cingulaire participe à l’évaluation subjective de l’intensité et au caractère dramatique de la douleur. De par cette complexité, la matrice de la douleur aboutit à un état d’alerte général pour la qualifier au point « d’être toujours là sans faire mal ». A titre d’exemple certains sujets verbalise cet état de ressenti accompagnant l’effet de la morphine sur les récepteurs cérébraux.
Il existe aussi dans la matière grise périaqueducale une action modulatrice de la douleur avec ses systèmes efférents pour freiner l’activation des voies de la nociception. Pour aller au–delà de l’explication molécularo-mécaniste locale, il faut intégrer les contextes neurologiques, psychologiques et sociaux qui lui donne sens. Nociception et douleur sont étroitement liées tout en conservant une sorte d’autonomie fonctionnelle.

La douleur abstraite

      La douleur ressentie en absence de l’activation des voies ascendantes de la nociception est difficile à traiter car sans cause apparente. A l’image du cas du membre fantôme, la douleur serait comme une réponse à une situation ayant une absence de cohérence entre ses attentes et les retours obtenus.

Cette perte de cohérence ou de congruence est illustrée par le concept de copie efférente de  Von Holst [2]. Selon lui, ce qui donnerait au sujet la conviction d’être l’auteur et l’acteur des mouvements en cours, c’est cette cohérence entre la copie efférente et toutes les informations reçues en cours d’exécution. Autrement dit, toute incongruence dans cette comparaison est à l’origine d’un signal d’erreur et cette discordance peut constituer la représentation de la douleur. Selon Fink [3], la simple exécution de mouvements dont l’observation visuelle, inversée par un miroir, contredit les attentes de celui qui les produit et active une partie de la matrice de la douleur. Il y a également un point intéressant à noter, chez des sujets qui sont animés d’un sentiment d’exclusion sociale, les activations cérébrales observées concernent également la « matrice de la douleur ». Ce qui est entendu par exclusion sociale est le fait de se trouver en marge avec des phénomènes de deuil ou d’exil de soi, il peut alors se développer des discordances entre ce qu’on est et ce qu’on était faisant émerger des souffrances…ou des douleurs.

Pour résumer, l’atteinte à l’intégrité physique selon le concept de discordance serait une anomalie de principe. Elle calibrerait les circuits de la matrice de la douleur ensuite recombinée à d’autres perceptions.



La douleur fantôme

      Dans le cas des personnes amputées, la douleur serait liée à une activité cérébrale consécutive à l’amputation, sans participation spécifique de la nociception. Cela n’explique pas la nature de la douleur ni même son réarrangement neuroplastique accru. Cette « présence de l’absence » est liée en grande partie à l’activation cérébrale correspondant à un projet moteur pour le membre amputé et qui n’a pas de retour satisfaisant, faute d’exécution du geste. La douleur émerge de cette attention accordée à ce signal et s’amplifie automatiquement par l’inefficacité de ces corrections. Un patient amputé peut s’imaginer exécuter un mouvement avec son membre absent en face d’un miroir qui lui donne en retour une image confirmant la bonne exécution de ce geste par reflet miroir de l’autre membre. Berthoz [4] a une formule sur cette restauration de la cohérence à travers cette technique miroir ; on pourrait y voir comme un retour à la simplicité, une élégance des solutions que le vivant offre à la complexité.
Par cet exemple, Schenk [1] propose que l’effet placebo suive naturellement l’amorçage d’une hypothèse suffisamment bonne pour entrainer une amélioration qui irait en s’auto-amplifiant.

Un effet placebo induit au cerveau

    Le changement induit par une manœuvre explicitement thérapeutique amènerait la réduction de douleur par la dévaluation de la discordance à l’origine des signaux d’alarme. Pour imager, il faut mettre le sujet en mesure de considérer qu’une réduction de sa douleur a une probabilité de 0,5 s’apparentant à la métaphore du verre à demi-plein…dont on envisage implicitement qu’il pourrait se remplir. C’est seulement à la condition d’une amélioration même faiblement ressentie, que l’activation dopaminergique va pouvoir jouer un rôle primordial en dévaluant l’état de discordance.
De plus, le couplage étroit entre désir, satisfaction et douleur suppose une « neurobiologie commune pour la douleur et le plaisir » confirmée par l’activation commune des systèmes opioïdes et dopaminergique. Berridge [5] distingue l’attribution d’une valeur plaisante à une expérience, assurée par les opioïdes, de la motivation nécessaire pour l’obtenir, animée par une activation dopaminergique. Tout se passe ensuite comme si de nouvelles hypothèses se voyaient générées dans une forme spiralée.
Le concept de cerveau proactif anticipe régulièrement les conséquences des actions en cours. La mémoire est constituée de représentations codant les expériences vécues et leurs conséquences effectives ou potentielles, selon des nouvelles hypothèses, par association et analogies. Ce raisonnement appuie la proposition selon laquelle le phénomène placebo émergerait d’une hypothèse assurant l’anticipation d’un résultat positif. Pour aller plus loin, il est frappant de constater combien cette analyse apparente l’effet placebo aux mécanismes qui animent les comportements de jeu pathologique ou de prise de risque financier.

Le placebo et la thérapeutique

     Il semble nécessiter une juste quantité du « mieux être » dans le cas du phénomène analgésiant. Juste quantité qui ne provient pas d’un amenuisement direct des stimuli transmis par les nocicepteurs à l’amorçage de ce processus mais de leur dévaluation accompagnant la production d’une nouvelle hypothèse. Beauregard [6] assimile le placebo à un catalyseur de croyance et ce d’autant plus que les régions cérébrales activées durant l’effet placebo seraient impliquées dans l’évaluation des émotions.
Le succès thérapeutique résulte du lien indissociable entre le phénomène placebo et une thérapie efficace. Cela sollicite des mécanismes ne pouvant être prescrits mais qu’il faut encourager tout en réduisant la gravité des dysfonctionnements biologiques concomitants. Le phénomène placebo devient alors indispensable. Toutefois se méfier du risque d’allostasie. C’est un phénomène qui rassemble les efforts d'adaptation constants que déploie l'organisme, par des changements physiologiques afin de maintenir sa stabilité (homéostasie) en présence de stresseurs. L’allostasie serait entretenue par un mieux-être superficiel et qui ferait prendre des risques « inconsidérés », comme l’évoque la référence au jeu pathologique.

Avis du GERAR :

Ces deux auteurs suisses nous apportent leur regard sur la notion de thérapeutique d’un point de vue neuropsychologique. Cet article original apparait dans un premier temps bien éloigné des situations cliniques auxquelles les soignants sont confrontés. En effet, beaucoup de concepts y sont exposés. Mais cela peut offrir un peu de recul à certains d’entre nous et à nos pratiques habituelles. Puis dans un second temps, nous retrouvons des références contextuelles très parlantes avec la douleur et son parcours neurophysiologique, son paralléle avec la souffrance ressentie. Enfin le dossier développé autour de la thérapeutique des amputés est un exemple qui reste très parlant, pour nous thérapeutes physiques, tant nous nous y référons aussi bien durant nos formations initiales que pendant nos pratiques professionnelles.
Pour celles et ceux qui aimeraient illustrer ses connaissances neurophysiologiques, deux vidéos sont disponibles; l’une illustre la voie nociceptive et l’autre la perception de la douleur.

     A propos du contenu de cet article, Schenk et Joz-Roland ne se sont pas trop attardés sur la douleur ressentie dans le cas de sujets avec des sentiments d’exclusion sociale. C’est pourtant très intéressant car les soignants sont confrontés à des patients de ce type beaucoup plus souvent que l’on imagine. En effet, ces derniers ont des pathologies qui les handicapent et les empêchent de maintenir leur niveau de vie habituelle, l’exclusion sociale commence là car très peu de place est prévue dans nos sociétés pour ces épisodes aigües ou chroniques. Et ce d’autant plus que la prise en charge thérapeutique nécessite également de se mettre en marge socialement. Le soin peut isoler de par le temps qu’il nécessite souvent très long et les moyens à mettre en œuvre devenant vite envahissants ou invasifs. Le soignant se trouve alors dans cette situation fréquente où il ne sait plus s’il prend en charge la douleur physique ou la douleur sociale du patient. Quelle portée prétendons-nous avoir quand nous travaillons sur le verrouillage du genou avec le patient ; la réhabilitation du genou ou l’acceptation du handicap causé ? Un peu des deux certainement mais il serait judicieux qu’un jour nous puissions objectiver la valeur de nos pratiques trop souvent fondées sur nos croyances ou de nos placebos respectifs comme le suggérait Beauregard [6].

     Dans cet article, il est également question des systèmes opioïdes et dopaminergiques. L’un redonne une sensation de bien-être ; tous les sportifs réguliers vous le diront après leur sécrétion d’endorphines internes et l’autre motive la recherche de cet état de bien-être ; ces mêmes sportifs en témoigneront après une coupure prolongée d’activité sportive. Ce sont des circuits qui peuvent être responsables des niveaux de dépendance de certains patients. Il est intéressant alors de noter le comportement thérapeutique des soignants prescripteurs. Ils ont une position très délicate que certains qualifient de « savant dosage » vis-à-vis des patients au sujet de leur médication. Ils doivent gérer le souhait et le ressenti du patient, son contexte clinique, ses possibles pathologies associées puis les souhaits et les ressentis des soignants, leurs contextes cliniques… et tout ceci avec une proportion placebo non-négligeable. Pourtant les conséquences suivant ces décisions thérapeutiques sur les patients peuvent ne pas être celles escomptées. Sans vouloir dédouaner les médecins, il est alors difficile (voire pas nécessaire…) pour ces soignants de pouvoir satisfaire tous ses interlocuteurs. La pluridisciplinarité, si tenté qu’elle puisse avoir une place ailleurs que dans les documents administratifs, peut résoudre bon nombre de ces problématiques sous-jacentes.

     Enfin en guise de clin d’œil, la proprioception est un terme que le Gerar a du mal à employer tellement sa représentation est diverse et variée. Mais le concept de cerveau proactif est certainement une voie à exploiter en termes de recherche clinique. Les systèmes de traitement de données qu’il mobilise, les hypothèses d’exploration qu’il développe sont des réflexions qui peuvent nourrir bon nombre de protocoles de thérapie physique qui amèneront peut-être plus de cohésion dans ce domaine… et de regard objectif. Peut-être sera-t-il temps pour le Gerar de se concentrer sur cette thématique pouvant allier concept et clinique et espérons-le pour le bonheur de nos lecteurs !!!


       Pour refermer la page placebo, une note d'humour avec une bande dessinée trouvée sur la toile qui peut symboliser la posture actuelle de l’humain face à l’effet placebo. Il parait évident que le salut de certaines de nos thérapies doive passer par l’analyse spécifique de l’effet placebo sous-tendu… à ne pas confondre avec le rôle de faire-valoir très souvent mis en œuvre afin de rendre compte de « je ne sais quelle efficacité de traitement ».


[1] Schenk F., Joz-Roland C.T. Le processus placebo : amorcer le sujet par une “hypothèse suffisamment bonne”. Pratiques psychologiques.2012. 18 ; 13-22 –accés restreint-
[2] Von Holst E., Mittelstaedt H. Das reafferenzprinzip wechselwirkungen zwischen zentralnervensystem und per-ipherie. Naturwissenschaften. 1950. 37,  464–476.
[3] Fink G.R., Marshall J., Halligan P.W ., Frith C.D., Driver J., Frackowiak R.S.J., Dolan R.J. The neural consequences of conflict between intention and the senses. Brain. 1999. 122,  497–512. –Accès gratuit-
[4] Berthoz A. La simplexité. 2009. Éditions O. Jacob, Paris.
[5] Berridge, C.K., 2003. Pleasure of the brain. Brain and cognition 52, 106–128. –accès restreint-
[6] Beauregard M. Mind does really matter: evidence from neuroimaging studies of emotional self-regulation, psychotherapy, and placebo effect. 2007. Progress in neurobiology 81, 218–236. –accès restreint-

NS.

1 commentaire:

  1. Excellent article, meme si le sujet est pas des plus agréable a parler. En tous cas j'en sais un peu plus. Merci

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