14.5.13

Une vue déformée de la science en lisant les revues scientifiques

  Cet article écrit ci-dessous par notre nouveau collaborateur, Hervé Maisonneuve, est le premier opus d'une série de 4 billets concernant l'actualité dans la publication scientifique.
   Dans cette première partie, l'auteur a voulu porter un regard sur la vision restreinte que peut laisser transparaître les seules publications des revues scientifiques à propos de la Science au sens noble du terme.
   En vous souhaitant bonne lecture.

     Les revues scientifiques permettent de valider les travaux soumis, de diffuser le savoir et de l’archiver. Ces objectifs sont partiellement remplis car la publication est trop souvent un sésame pour faciliter les carrières et/ou obtenir des financements pour les équipes scientifiques. Cela pousse les auteurs à avoir comme objectif « la publication à tout prix », et c’est au détriment des objectifs altruistes et désintéressés de la science ! Un scientifique qui veut progresser dans sa carrière doit « Publier ou périr ». La plupart des publications sont de mauvaise qualité, car les auteurs sont prêts à tout pour être publiés. La lecture des publications doit faire appel à l’esprit critique des lecteurs. Si les publications à visée d’enseignement sont moins sujettes à caution, ce sont les articles de recherche, ou articles originaux qui posent problème. Quelles sont les observations qui me font penser cela ?
     La première distorsion de la science provient du fait que les données dites négatives ne sont que rarement publiées, alors que les données dites positives sont publiées plusieurs fois [1]. De manière générale, les données non publiées nuisent à la bonne connaissance de la science puisqu’elles sont informatives, mais non diffusées. Il y a plus grave car de nombreuses publications sont peu reproductibles : des données objectives existent en sciences fondamentales prouvant que 15 à 25 % des travaux de laboratoire seraient reproductibles [2,3]. Les recherches cliniques demandent beaucoup de ressources pour être reproduites, et peu de données existent pour savoir si ces données sont reproductibles. D’autres problèmes méthodologiques existent : recherches faites sur de petits échantillons nécessitant une torture des données pour observer le P magique (< 0,05) ; absence de question de recherche explicite dans de nombreux articles ; conclusions ne correspondant pas aux observations ; positivisme exagéré devant des ‘tendances sans signification statistique ou clinique’ qui sont allègrement interprétées comme des preuves scientifiques.
   Un phénomène est plus difficile à évaluer : l’embellissement des données [4]. Ce serait très fréquent. Pour exemples d’embellissements en recherche clinique : oublier de donner les résultats correspondant au critère principal, et analyser un critère secondaire, en faisant croire que l’étude a permis de conclure ; dire qu’une étude est en double aveugle alors que c’est faux ; oublier quelques données divergentes qui mettent en péril le fameux P significatif ; changer les critères de jugement entre le protocole et l’analyse. Les combats entre auteurs nuisent aussi à la sérénité des équipes de recherche. Il existe trop d’auteurs fantômes, ou oubliés : tous ces jeunes thésards dont le nom est omis dans les publications. Les auteurs honoraires ajoutés sans raison sont nombreux, et c’est contraire à toute éthique de la recherche. Dans les publications, les liens d’intérêts sont insuffisamment déclarés.
   Il ne faut pas être résigné et accepter ces situations de mauvaise conduite. Il faut former
les chercheurs aux bonnes pratiques de recherche, leur apprendre la méthodologie, la statistique et surtout l’éthique de la recherche scientifique. Il s’agit des formations à l’analyse de la littérature, appelée aussi lecture critique d’articles [5]. Est-ce que cette formation doit s’adresser aux jeunes chercheurs ? Oui, mais c’est loin d’être suffisant car les séniors qui donnent l’exemple sont parfois mal formés et peu conscients des effets délétères de ces pratiques. La communauté scientifique laisse faire des comportements inacceptables, sans informer les hiérarchies des scientifiques peu scrupuleux.

[1] Von Elm E, Poglia G, Walder B, Tramer MR. Different patterns of duplicate publication: an analysis of articles used in systematic reviews. JAMA 2004;291(8):974-980 - accès libre -
[2] Begley CG, Ellis LM. Raise standards for preclinical cancer research. Nature 2012;483:531-533. - accès libre -
[3] Prinz F, Schlange T, Asadullah K. Believe it or not: how much can we rely on published data on potential drug targets? Nature reviews, Drug discovery. 2011;10:712-713. - accès libre -
[4] Seror R, Ravaud Ph. Embellissement des données : fraude à minima, incompétence ou un mélange des deux. La Presse Médicale 2012;41:835-840. - accès restreint -
[5] Jolly D, Ankri J, Chapuis F, Czernichow P, François P, Guillemin F, Labarère J, Lecture d’articles médicaux. Elsevier Masson 2012, 304 pages. - accès payant -
Hervé Maisonnneuve - HM
Les opinions exprimées sont fondées sur des billets du blog www.redactionmedicale.fr
Liens d’intérêts : Formateur en rédaction médicale ; auteur du blog ‘Rédaction médicale et scientifique; rédacteur adjoint de La Presse Médicale ; liens d’intérêts consultables sur www.redactionmedicale.fr


Avis du Gerar :

    C'est avec une certaine fierté et un très grand honneur que le GERAR est heureux de présenter à nos fidèles lecteurs la collaboration d'Hervé Maisonneuve, une référence en matière de critique de la littérature scientifique. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore (ou qui n'ont pas lu l'un de nos posts à son sujet), il tient un blog appelé rédaction médicale et scientifique sur lequel il diffuse plus que régulièrement des billets sur l'actualité des revues scientifiques reconnues par la communauté internationale. Beaucoup de thèmes y sont abordés et Hervé Maisonneuve tient à mettre en valeur les actualités qui peuvent promouvoir la rigueur et la transparence des articles scientifiques. Le plagiat, la rétractation, l'open access, les conflits d'intérêts et l'actualité des grandes revues scientifiques sont abordé de façon à nourrir le regard critique de chacun.
    Le GERAR soutient ces valeurs et entend les partager au plus grand nombre. La participation d'Hervé Maisonneuve montre à priori son enthousiasme réciproque à l'égard de cette initiative.
NS.

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