L’effet placebo a toujours été un
questionnement de fond pour les professionnels de thérapie physique qui prennent le temps de réfléchir sur sa pratique. Un médicament ou un soin est
généralement constitué de son principe actif ; le verum et de son effet placebo. La question en réadaptation
fonctionnelle est de pouvoir identifier la nature du principe actif administré
par le soin, ensuite de le comparer à son phénomène placebo pour pouvoir
évaluer l’efficacité du principe actif ; et non du traitement
proprement dit.
Jean-Marie Berthelot est un spécialiste de
ces questions dans le domaine de la médecine rhumatologique. Il nous donne des éléments de réflexion à
nous thérapeutes physiques sur l’effet placebo (EP). Il tente avec cette mise
au point récente [1 ; 2011] de réactualiser les connaissances en matière
d’EP que ce soit du point de vue du praticien ou bien de celui du chercheur
clinique. L’originalité de cet article tient
sur la répartition des données sous forme de questions successives pour
interpeler d’autant plus les lecteurs.
En préambule, beaucoup de praticiens tendent
à rendre péjoratif l’EP car cela pourrait insinuer que leur pratique aurait un
caractère scientifique moindre. Cet article s’adresse tout d’abord aux
rhumatologues, l’auteur insiste qu’il ne s’agit en rien d’opposer EP et
raisonnement scientifique. En effet, l’utilisation maximale de l’effet placebo
reste bienvenue si elle n’émousse pas l’esprit critique.
Ce
qui n’est pas EP :
Il ne doit pas être confondu avec
d’apparentes améliorations liées à un manque d’exactitude Cela peut être le
biais des réponses patient ou médecin, la minoration ou la majoration d’effet
du traitement par simple consentement à l’étude. Il
faut se méfier des évolutions spontanées des maladies, des phénomènes de
poussées très fréquentes en rhumatologie. Les effets secondaires
reconnaissables du verum peuvent aussi constituer un biais d’interprétation.
Pour éviter ces biais d’interprétation, la
meilleure méthodologie pour distinguer l’amélioration spontanée de l’EP serait
de comparer l’activité d’un groupe verum, d’un groupe placebo et d’un groupe
témoin. La méta-analyse de 2005 de Hrobjnartsson et Gotzsche [2] a mis en
évidence ces types d’études. Il en résulte de leur analyse que la plupart des
études portaient sur des pathologies peu sensibles à l’EP qui sont des produits
à faible effet intrinsèque. En effet il est établi que la force de l’EP est
proportionnelle à celle du verum. Ensuite beaucoup de travaux portaient sur des
pathologies avec une forte composante psychiatrique alors que l’EP semble être
inhibé par l’anxiété.
Il est intéressant ici de parler de l’effet
nocebo résultant d’effets indésirables
ou de la crainte d’effets possibles.
Ce
qu’est l’EP :
Ce sont des « mécanismes réduisant
l’intensité d’un symptôme, à la suite d’un évènement catalyseur ou déclencheur.
L’effet est d’autant plus puissant que le symptôme (comme la douleur) est sous
dépendance du système nerveux central ou autonome. »
Pour illustrer cette définition, Berthelot JM prend l’exemple de l’EP qui est plus marqué pour les
arthroses des doigts que pour les coxarthroses, à mettre en relation avec la
place occupée dans le cortex de la main par rapport à la coxo-fémorale. Dans le
même sens, cela pourrait expliquer pourquoi l’EP est plus marqué dans les
syndromes douloureux complexes.
Pas
un mais une alchimie de plusieurs EP :
Parmi ces multiples mécanismes, il y a
notamment le phénomène de réflexe conditionné et l’attente optimiste d’une amélioration/récompense.
Le conditionnement peut constituer un biais d’étude si la méthode consiste à
recruter dans une phase en double insu les patients ayant bien répondu à une
phase préliminaire ouverte. Les deux bras de l’étude seront alors exposés à un fort
taux de d’EP. L’opinion des soignants sur le traitement testé conditionne
également l’EP. De plus, cette croyance se trouve renforcée par le fait
que le système de publication
donne les résultats positifs « publiables » et non les résultats
négatifs des études. L’optimisme établi sur un traitement peut donner un EP
supérieur à 50% de l’effet total. De plus la prise de deux placebos pour deux
verums différents serait plus efficace que la prise d’un seul placebo.
Le concept de l’open hidden study design [3] proposé dans le contexte des
douleurs postopératoires étudie le phénomène d’attente optimiste. Cela consiste
à administrer un verum à un premier groupe informé de son efficacité et à un
deuxième groupe non informé des effets attendus ni même du moment de
l’administration. Par ce procédé, cela a permis de mettre en évidence une bien
moindre efficacité de la morphine, du tramadol, des AINS pour le groupe insu
que pour le groupe informé. A cela s’ajoute l’effet rebond, c’est à dire la
disparition de l’EP quand le groupe informé est prévenu de l’interruption du
traitement, la douleur passait de 2 à 4 pour le groupe informé alors que le
groupe insu restait à 2.
EP
et thérapies physiques :
L’acupuncture symbolise ces traitements qui
sont visibles et locaux dans leur pratique. Une méta-analyse [4] de 2009 comparant
vraie acupuncture et acupuncture simulée a conclu qu’aucune différence n’était notée dans la majorité des
études (22/38). Ce constat rappelle le résultat similaire entre l’efficacité
d’une péridurale de corticoïdes à celle de sérum salé dans le traitement de
sciatiques communes. En MPR, il
parait impossible de disposer de simulacres de prise en charge permettant un
niveau d’insu parfait et un haut niveau de standardisation. A noter que le niveau
de preuve sur les orthèses reste encore trop faible alors qu’il est plus facile
d’étudier le rôle d’EP pour les champs magnétiques et les ultrasons.
A
qui profite l’EP :
Selon Berthelot, l’EP profite certainement
plus aux non-médecins qu’aux médecins. Cela explique la rancœur de ces derniers
à proposer des thérapeutiques purement placebo qui peuvent également dénigrer
leur propre EP. Reste à savoir maintenant si ces attitudes facilitent ou préviennent
l’augmentation du nombre de patients vers les thérapies non-conventionnelles.
Et
l’éthique dans tout ça :
Dans une étude, le recours à un groupe
placebo est indispensable pour connaitre la toxicité du vérum et le rapport
coût-efficacité, d’autant que la signature d’un consentement éclairé n’a pas
d’incidence sur la force de l’effet placebo. Une enquête auprès de 300 patients
et 100 infirmières montre que 45 et 66% acceptaient l’idée qu’on leur prescrive
un placebo à leur insu.
En conclusion, cet état actuel des
connaissances incite à la réflexion quant au niveau de remboursement à accorder
à ces traitements porteurs d’EP. La prise en charge du seul effet intrinsèque
serait le meilleur moyen d’inciter à des traitements plus efficaces. Mais
certains EP, dont le « remède-médecin » mériterait d’être rétribué à
la hauteur du service rendu.
Avis
du GERAR :
Cet article a été écrit par un auteur avec un certain franc-parler et cela permet aux lecteurs
d’établir le lien entre sa pratique empirique et les données des études
placebo. Il possède un recul et regard critique sur sa spécialité et sa famille
corporative donnant plus de crédibilité quant à ses arguments scientifiques.
Toutefois, le GERAR aime à analyser et
critiquer les articles qu’il met en valeur dans son blog. Tout d’abord, pour
illustrer l’EP, l’auteur utilise une métaphore mettant en situation un cycliste
qui descend une pente, il prendra plus de vitesse si la pente est plus
importante, et encore plus s’il continue à pédaler (=verum) que s’il reste en
roue libre (=placebo). Poussons la comparaison au bout, il y un moment où le
cycliste du fait des frottements de l’air environnant ne prend plus de vitesse
qu’il soit en roue libre ou en train de pédaler. Il conviendrait de déterminer
dans le domaine méthodologique et épistémologique ce que peuvent être ces
frottements (peut-e^tre l’effet nocebo) et cet environnement d’un point de vue
thérapeutique qui mettraient sans hésitations à égale valeur le placebo et le
verum.
Encore une fois cet article souffre de ce que
l’on va appeler le « doctoro-centrisme ». En effet, les
professionnels de la rééducation sont très peu cités mais aussi les infirmiers,
les aides-soignants, en bref tous ces professionnels qui travaillent, osons
l’espérer, en étroite collaboration avec les rhumatologues. Ou s’ils sont cités
c’est pour mettre en valeur leur marginalisation. Il va de soi que la
conjoncture scientifique dans laquelle il n’y a que très peu de paramédicaux qui publient n’aide
pas l’auteur à nourrir le débat. Il ne tient qu’à nous de donner le change aux
médecins. D’autant plus que le peu d’études existantes mettent en valeur une
fort EP en médecine physique.
Cette position précitée est à mettre en
relation avec les analogies que révèlent les exemples de cet article. Quand
Berthelot cite l’amélioration spontanée des pathologies, cela fait écho pour
nous membres du GERAR, à des patients en post-opératoire immédiat comme ceux
porteurs de ligamentoplasties du genou ou ceux porteurs de prothèses de hanche.
Construire des hypothèses permettant d’homogénéiser les groupes de population
test est une première étape pour analyser l’EP. Ressortir l’efficacité de nos
traitements physiothérapiques versus l’évolution singulière de chaque patient
parait difficile à distinguer pour une meilleure efficacité de nos traitements.
La sensibilité du SDRC à l’EP citée dans cet article à l’EP questionne nos
outils et nos choix thérapeutiques
à mettre en œuvres suivant le contexte. Cet exemple peut mettre en
valeur que la prétention et l’efficacité de nos thérapies sont dépendantes des
pathologies traitées et de ses sujets porteurs. En effet, leur sensibilité
respective à l’EP est différente et par conséquent avec un effet intrinsèque du
verum plus ou moins nécessaire.
Le GERAR veut relayer le message de Berthelot
au sujet du rôle des soignants en
terme d’EP. De par la connaissance et l’opinion des soignants sur l’EP, le déni
par beaucoup de chirurgiens (et partagé par presque tous les patients) de tout
EP dans leurs interventions ne peut que renforcer le fort EP de la chirurgie.
L’idée serait donc de pouvoir étudier l’influence sur les études des croyances
des expérimentateurs et des patients sur l’EP et sa puissance.
La rétribution du
« remède-médecin » soulève beaucoup de questions de l’ordre de la
santé publique. Il parait difficile d’imaginer que le relationnel thérapeutique
sous-entendu puisse être évalué objectivement ; dépendant du thérapeute,
du patient, de sa pathologie, du contexte environnemental à ce relationnel. Si
l’idée est théoriquement louable pour un meilleur soin prodigué, le chantier
pour ressortir tous ses déterminants reste très vaste encore.
NS.
[1] Berthelot JM. The placebo effect in rheumatology: new data. Joint Bone Spine. 2011 Mar;78(2):161-5. accès restreint
[2] Hrobjartsson A, Gotzsche PC. Unsubstantiated claims of large effects of placebo on pain: serious errors in meta-analysis of placebo analgesia mechanism studies. J Clin Epidemiol 2006;59:336–8. accès restreint
[3] Finnis DG, Kaptchuk TJ, Miller F, et al. Biological, clinical, and ethical advancesof placebo effects. Lancet 2010;375:686–95. accès libre
[4] Moffet HH. Sham acupuncture may be as efficacious as true acupuncture: a
systematic review of clinical trials. J Altern Complement Med 2009;15:213–6.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire