L’équipe de
Toutoungi et O’Connor [1] a voulu mettre en évidence les contraintes
exercées lors de différents exercices musculaires des membres inférieurs. Pour
cela, la méthode de l’étude se compose soit d’un mouvement fonctionnel soit
d’un mouvement analytique associé à une modélisation mathématique et
cinésiologique déjà validée dans des études antérieures.
Le but de
l’étude était de calculer les forces appliquées sur les ligaments LCG notamment
le pic de force maximum exercé ainsi que les variations de contraintes et de
cisaillement fémoro-tibiales en fonction de l’amplitude de mouvement. La
méthodologie, similaire à l’étude de Collins et O’Connor [2], a la
particularité d’ajouter un modèle de LCG plus réaliste inspiré de Zavatsky et
O’Connor [3,4]
Le protocole
consistait à tester sur un premier groupe de sujet une série d’exercices
isocinétiques et isométriques réalisés en chaîne cinétique ouverte (CCO) ;
et sur un second groupe une série d’exercices en squat en chaîne cinétique
fermée (CCF). En ce qui concerne les outils d’évaluation musculaire, le dynamomètre Kincom®
calcule les moments de force dans le plan sagittal pour les exercices
isométriques et isocinétiques, une
plateforme AMTI® analyse la répartition du poids du corps pendant
l’exercice de squat, le VICON370® enregistre les trajectoires des membres
inférieurs, l’electromyogramme (EMG), impossible avec le dynamomètre, sert à
évaluer lors du squat le potentiel contractile de six muscles du membre
inférieur ; le droit fémoral, le biceps fémoral, le gastrocnémien médial, le
grand fessier, le tibial antérieur et le tenseur du fascia lata (TFL).
Les séances
d’isocinétisme consistaient à réaliser 5 séries d’extension-flexion en
mouvement volontaire maximal en mode concentrique aux vitesses successives de
60, 120, 180°/s. Sur le même appareil, une contraction isométrique de 3
secondes était demandée en extension puis en flexion aux amplitudes de genou de
15, 30, 45, 60 et 75°. Concernant les squats, tout d’abord une contraction
musculaire volontaire maximale pour chaque muscle testé etait réalisée selon
une procédure standard à l’EMG. A partir de cette mesure, la valeur absolue
moyenne était déterminée. Ensuite, successivement il était demandé un squat
aller-retour bipodal talon au sol, ensuite talon décollés, enfin en unipodal
talon au sol.
Pour
calculer les forces appliquées aux LCG, il s’agit de déterminer le système
articulaire à étudier avec les forces extérieures appliquées à ce système. Ensuite, il faut déterminer comment sont
distribués la direction et les moments de ces forces. Pour se faire, 4 segments
de membres sont cités dans le système : pelvis, fémur, jambe et pied. Les
principes de Newton seront appliqués dans un modèle en 2D. Au préalable, les
forces externes seront calculées à partir de la table anthropométrique de
Winter. La distribution des forces et les contraintes engendrées sur le système
(ici, le genou) sont déterminées selon la méthode DDOSC (Dynamically
Determinate One Sided Constraint)en incluant en plus la variable de la
translation tibiale.
Après
analyse statistique des résultats, les évaluations isocinétiques donnent des
pics de force de contrainte en extension à 40° d’amplitude de genou pour le LCA
et à 90° pour le LCP. En mouvement de flexion, seul la force appliquée sur le
LCP est calculée et son pic apparait à 90°. Ces pics sont indépendants des
vitesses concentriques utilisées
Tableau I : Pic de force de contrainte exercée sur les ligaments croisés exprimés
en Newtons par rapport au poids des sujets (N/Kg) [1]
|
Le
pic LCP en flexion est beaucoup plus important que les pics du LCA. Les contraintes
en mouvements isocinétiques décroissent significativement toutes quand la
vitesse en concentrique augmente. Les squats fournissent des contraintes
quasi-exclusives sur le LCP. Pour le
mouvement en descente ; la différence entre les forces appliquées au LCP est
significative au sein des sujets du groupe testé mais pas dans la montée du
squat.
En
terme de discussion, les auteurs [1] veulent revenir sur le fait que transposer
les calculs de force in vitro sur les données in vivo, comme cela se fait
habituellement pour ce type d’étude, rend très difficile la relation avec la
notion de prévention des blessures du genou. A
l’opposé, l’expérimentation associant des mesures non invasives avec un modèle
géométrique du membre inférieur met en valeur une représentation plus réaliste
des forces de contrainte. Les calculs doivent prendre en compte que la
résultante des forces de cisaillement dépend de la direction de la force ligamentaire
évoluant en fonction de l’angle de flexion et du déplacement tibial. Ainsi, le
pic de force du ligament n’est pas forcément simultané à la force de
cisaillement, ni proportionnelle.
En ce qui concerne l’écart pic LCA versus pic LCP, les mesures les plus élevées
sont de 0,55 pour 4,6 N/Kg. C’est la
conséquence de la différence d’angle d’inclinaison et de la résultante des
forces du tendon patellaire et des ischio-jambiers. Le tendon patellaire
s’oriente jusqu’à 65° par rapport au plateau tibial donc le ratio de
cisaillement passerait de 0,4 à 1. Les ischio-jambiers sont orientés à 90°donc
la résistance du LCP devient la résultante directe de la force des ischio
appliquée.
Bien
que les différents aspects de la méthode aient été validés au préalable, l’article
souligne l’existence de plusieurs limites à cette étude. Le modèle 2D reste
très limitant dans les contraintes impliquées. En effet, dans les squats et
l’isocinétisme, il existe une composante medio latérale du pic de contrainte
sur les ligaments, non prise en compte dans cette étude. Ensuite, c’est le même
modèle paramétré pour tous les sujets. Bien que cette limite n’ait que très peu
d’effet sur la force des ligaments, ces paramètres incluraient la géométrie de
l’articulation fémoro-patellaire et le bras de levier des ischio-jambiers. Le
pic de force des ligaments pourrait être amélioré de 20% de ce qui a été
calculé. Il conviendrait d’avoir un ajustement plus individualisé de ces
paramètres pour chaque sujet. Enfin,
sélectionner la combinaison de solutions possibles parmi les résultats DDOSC
peut constituer un biais. Plus particulièrement quand une multitude de muscles
sont actifs simultanément. Cela peut être difficile de choisir entre plusieurs
alternatives si l’EMG indique l’activité de plusieurs muscles en même temps.
Cette problématique était plus flagrante dans les exercices en CCF type squats
qu’avec les autres exercices en CCO.
Pour
ouvrir de nouvelles perspectives, l’article souhaite approfondir ces recherches
pour pouvoir utiliser ces valeurs de forces ligamentaires et déterminer
précisément quand il est indiqué d’utiliser tel ou tel exercice en
réhabilitation. Il serait nécessaire d’en savoir plus sur la nature de la force
au niveau des attaches ligamentaires. A noter que les forces isocinétiques et
isométriques évaluées dans cette étude se déroulaient dans un cadre de force
maximale. L’effort sous-maximal répercuterait des contraintes ligamentaires
bien moindres.
Avis
du GERAR :
Cette
étude met en valeur un profil original de méthodologie expérimentale alliant
évaluation clinique et modélisation théorique. Cela permet d’orienter le
lecteur vers des rappels cinésiologiques indispensables à la compréhension
globale du sujet dans sa biomécanique. Vulgarisons par un exemple, un homme
soulage son poids de 20% debout avec une canne. Mais il ne diminuera pas de 20%
la force du moyen fessier controlatéral ; même en isolant le système musculaire
au simple moyen fessier.
Les
moyens d’explorations musculaires mettent en valeur l’effort de pertinence et
d’objectivation de l’équipe de recherche pour déterminer l’activité des
différents groupes musculaires tant d’un point de vue qualitatif que
quantitatif. Cela part du principe que tel ou tel appareil ne caractérise qu’un
aspect de la fonction musculaire. Par conséquence les contraintes qu’elle
provoquerait sur les éléments passifs comme les LCG ne seraient que
partiellement déterminées. Ce procédé a été déjà utilisé dans des conditions de
laboratoire pour étudier certaines caractéristiques musculaires. Des cobayes
humains et autres mammifères ont été utilisés pour étudier des paramètres comme
le phénomène de fatigue, le déconditionnement, l’âge, l’effet de la gravité. Les travaux
de Goubel ou de Portero
peuvent donner des exemples scientifiques non-exhaustifs aux curieux avides de
physiologie musculaire.
L’une
des limites soulignées par les auteurs réside dans le fait de choisir un modèle
en 2D. Un modèle 3D apporterait plus de précisions quant aux relations de
contraintes existants dans le système articulaire étudié. Les appareils d’AQM
et autres types d’analyse biomécanique du mouvement pourraient laisser
entrevoir de nouvelles possibilités pour complexifier les modèles articulaires
en termes de nombres et de qualité des composantes.
Comme
le met en valeur le tableau I synthétique de l’étude décrite, les contraintes
exercées sur le LCP apparaissent presque 10 fois supérieures à celles du LCA.
Cela justifierait les précautions post-chirurgicales du LCP presque
"outrancières" d'un point de vue fonctionnel. De plus, nous ne savons
pas dans cette étude à quelle intensité était pratiquée les tests de squats ni
même dans quel degré d’amplitude et par conséquent ce que représentent les
contraintes calculées. Peut- être les apports de la 3D ou autres innovations
amenuiseront le rapport entre ces deux ligaments en émettant l’hypothèse des
ligaments actifs que sont les quadriceps, les ischio-jambiers, les triceps
suraux et poplités ?
Après
lecture de cette étude, l’existence du principe de précaution entre CCO et CCF
prévaut encore dans le cadre de la prise en charge des genoux ligamentaires. En
effet, les auteurs encouragent le fait d’apporter des preuves supplémentaires.
Un point commun à toutes les études en réhabilitation que nous avons pu lire au
travers du blog réside dans le fait que la prise de risque est quasi-nulle dans
l’élaboration des protocoles d’études. Il est vrai que le corps médical
possède, avec leur stock inépuisable de souris blanches, une population à la
merci de la prise de risque expérimental en tout genre. Il parait difficile de
déterminer des protocoles complexes de CCO-CCF sur ces types de mammifères mais
le salut de l’efficacité de nos pratiques devra passer par une quelconque prise
de risque.
Evidemment le questionnement éthique deviendra une problématique à
débattre et non-plus une simple formalité administrative. Un autre versant
certainement plus envisageable est sur le constat de la durée d’observation
assez restreinte de ces protocoles qui est de l’ordre de quelques semaines. Il
faudrait imposer un protocole que les sujets puissent suivre rigoureusement
durant plusieurs mois avec une hypothèse d’impact sur leur articulation : des
activités physiques quotidiennes sur contraintes constantes CCO ou CCF par
exemple, des charges et des durées d’exercices variables selon les groupes mais
rigoureusement contrôlées. Certes, cette rigueur nécessite un investissement
financier et humain important pour avoir des sujets dont leur quotidien serait
fortement contraint par le protocole d’études. L’EBM que beaucoup d’entre nous
veulent voir prendre un peu plus d’ampleur sous-entend une remise à plat de
bons nombres de raisonnements scientifiques. La problématique CCO/CCF n’est
qu’un exemple illustratif des problématiques récurrentes en thérapie physique
mais ô combien passionnante.
NS.
[1] Toutoungi DE, Lu TW, Leardini A, Catani F, O’Connor JJ. Cruciate
ligament forces in the human knee during rehabilitation exercices. Clinical
Biomechanics 2000; 15: 176-87 – accès restreint
[2] Collins J, O’Connor J. Muscle-ligament
interactions at the knee during walking. Proc Inst Mech Engs Part H, J Engng
Med. 1991;205:11-8 – accès
restreint
[3] Zavatsky A. O’Connor J. A model of human knee
ligaments in sagittal plane: part I. response to passive flexion. Proc Inst
Mech Engs Part H, J Engng Med. 1992;206:125-34 – accès
restreint
[4] Zavatsky A. O’Connor J. A model of human knee
ligaments in sagittal plane: part II. Fibre recruitment under load. Proc Inst
Mech Engs Part H, J Engng Med. 1992;206: 135-45 – accès restreint.
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