9.4.14

Ethiques et Soins, la valeur du soignant


   Le 27 mars à l’université Paris Dauphine a eu lieu une conférence introductive sur l’Éthique et les valeurs du soin présentée par le professeur d’Éthique Médicale à l’université Paris XI et directeur de l’Espace-Éthique, Emmanuel Hirsch.
    Après une brève présentation de la promotion MBA Santé, hôte de cette conférence, composée notamment de soignants, le Pr Hirsch a introduit son exposé en rappelant que l'éthique médicale a eu comme point de départ les procès de Nuremberg consécutives à la seconde guerre mondiale. Le code de Nuremberg a été rédigé pour faire naître les premières règles relatives à la recherche biomédicale.

   Ainsi de nos jours le droit des patients se renforce de plus en plus avec comme principal support la loi du 4 mars 2002 qui en quelque sorte confirme un droit (et un devoir...) de regard du patient sur les soins qui lui sont promulgués. Suivent alors dans la méthode du professeur une mise en avant d'une multitude de textes officielles de rayonnement national et international dans le but de faire comprendre que l'éthique dans le soin concerne avant toute chose une motivation d'ordre politique.

L'éthique dans le soin, une valeur ?

Quand on parle de valeur du soin, le professeur Hirsch veut rappeler une citation de Claude Bruaire dans « une Ethique pour la Médecine » : « Il est donc vain d'imaginer que des normes subsisteront, en matière juridique et politique,quand elles s'effacent là où l'être de l'homme est en cause et à l'épreuve. » Cela sous-entend d'une part que l'activité réelle de l'humain l'emporte sur sa représentation sociétale. D'autre part, cela met l'accent sur la spécificité que représente une personne en état de vulnérabilité et dont la norme ne donne que peu de solutions.
Autrement dit, employer le terme de valeur sur la justice , l'égalité donne une dimension théorique et reste ancré dans la notion de concept. Pour interroger ces valeurs dans la conviction et la conscience de chacun, l'important est de pouvoir développer des échanges et des confrontations entre chaque professionnel.



Figure 1 : Ethique et soins d'après les propos d'Emmanuel Hirsch


Droit à la protection

Afin d 'aborder ce que pourrait être le droit fondamental à la protection de la santé, le Pr Emmanuel Hirsch a voulu faire référence à la dimension du Care qui est une notion éthique où la parole et la relation à l'autre jouent un rôle central. L'apparente infériorité de par leur empathie que des soignants laissent transparaître serait un outil ou un atout pour permettre la relation au patient, à ses déficiences et sa vulnérabilité. Le relationnel dans le soin devient de plus en plus important d'autant plus que l'ensemble des évolutions dans le soin, des progrès technologiques amenant des questionnements moraux n'ont pas l'espace-temps nécessaire pour que les patients avec les  soignants puissent décider de la suite de leur prise en charge. Et bien souvent ces derniers se retrouvent devant le fait accompli les replaçant au rang des « profanes » alors que l'environnement juridique et politique entend vouloir les responsabiliser.
Pour cela notre orateur plaide pour que l’Hôpital avec tous les enjeux qu'il représente soit le garant du lien social indispensable dans nos sociétés ; poursuivant son argumentation en s'interrogeant ce que pourrait être notre devenir si les soignants, defenseurs du non-abandon et du prendre soin abdiquaient dans leur vocation et leur « foi viscérale ».

La primauté de la personne

La suite de la présentation se focalise sur le principe de primauté de la personne. Le droit à la santé pour tous apparaît indiscutable mas en partie dû au fait qu'il est le produit d'une motivation politique. L'idée prédominante qui évoque la santé pour tous tient surtout dans le fait que chaque individu puisse accéder au niveau de santé qu'il peut et/ou qu'il souhaite atteindre. Des événements historiques comme la pandémie du virus VIH-SIDA et ses nécessaires expérimentations ont permis à l'éthique médicale de remettre l'intérêt de l'individu concerné en primauté par rapport à d'autres enjeux que représente les thérapeutiques comme la santé publique, la scientificité des essais médicaux, etc... Il en découle des contrats entre les praticiens et les soignés comme la demande d'entente préalable, la responsabilisation préalable avant un acte chirurgical, les consentements éclairés...
Précisément, le Code civil interdit toute atteinte à la dignité de la personne, le corps humain est inviolable. De plus, il stipule que les intérêts et le bien être de l’individu doivent l’emporter sur le seul intérêt de la science ou de la société. Mais des dilemmes peuvent être plus fort que ces dispositions légales, par exemple comment une équipe survit au cruel choix d'un bénéficiaire de greffon parmi trois ou quatre candidats ?

Le professeur termine ce propos avec la philosophie de l'Espace Éthique : « il n’y a pas de bonnes conduites sans bonnes pratiques ». Souvent les soignants savent comment il faudrait faire pour bien faire, mais les conditions de contradiction et de vulnérabilité des patients soumettent des questionnements qui dépassent la technique du soin. Par exemple, beaucoup établissements de long et moyen séjour, discutent au cas par cas le port de grenouillère pour les résidents qui est gage de sécurité mais aussi une privation de liberté et une déshumanisation.

Autonomie du XXIème siècle

Enfin le XXIème siècle est à l'autonomie et au consentement du patient avec comme tournant symbolique la loi du 4 mars 2002 qui porte cette philosophie autonomiste. Le consentement de la personne permet d'éviter d’être arbitraire même si cette dernière est incompétente. Et si toutefois elle ne peut pas consentir, elle pourra certainement assentir. Est citée la position de Fabrice Gzil (2009) qui soutient que « la première condition du respect de la dignité des personnes malades, c’est peut-être – paradoxalement – une véritable reconnaissance collective de l’aide et des soins qui leur sont prodigués par les professionnels et les familles. Le code de santé publique appuie aussi la capacité de co-décider, le respect de la volonté de la personne, son consentement libre et éclairé. Cela fait ressortir aussi la notion de bienfaisance ou comme il était déjà écrit dans la vision hypocratique , « être utile et surtout ne pas nuire ». Alors à l'opposé de cette vision autonomiste, les patients ont tous des composantes de vulnérabilité et la protection qui en découle qui nous obligent, les soignants, à mobiliser des valeurs sur la dignité et l'intégrité de ces personnes.

En conclusion, le respect de la personne devient principe d’humanité et l’accompagnement éthique, c’est affirmer la permanence de la personne humaine en toutes circonstances même les plus dégradées.

Aux questions des auditeurs, nous retiendront celles-ci :

Les valeurs de la bienveillance , comment valoriser leur acte financièrement, y’a-t-il un PMSI de la bienveillance ?

Réponse de Emmanuel Hirsch : quels sont nos critères ne devant pas l’arbitraire de certaines personnes ? Il faut pouvoir discuter d’un point de vue démocratique et politique avec des positionnements argumentaires

La reconnaissance des soins apportée aux vulnérables, la vraie question serait la reconnaissance de la reconnaissance de ces aidants, comment y contribuer ?

Réponse de Emmanuel Hirsch : La place du dialogue apparaît centrale et fondamentale. Par exemple pour le soin à domicile, il y a l'état de vulnérabilité de ces bénéficiaires  mais aussi des aidants (formation, compétences limitées) car le circuit socio-professionnel pour arriver dans ces domaines d'activités ne sont pas privilégiés.


Avis du GERAR :

     La formation MBA Santé permet d'accompagner sur le plan managérial et technique pour donner aux dirigeants, gestionnaires et/ou médecins une meilleure compréhension de leur environnement et assurer l’efficience de leurs décisions. Et cet argument n'est pas une sinécure tant bon nombre de soignants s'improvise manager ou chef de projet sans pouvoir évaluer les enjeux qui composent leurs activités. Cette conférence a été l'occasion de découvrir ce cursus universitaire permettant d'acquérir le recul nécessaire à l'évolution de carrière de bon nombre des soignants qui aspirent à intégrer les projets d'établissements de façon plus active et plus efficiente.

Cette introduction aux valeurs de soin démontre la complexité et la singularité de l'activité humaine. La norme que la société entend prescrire à l'homme paraît obsolète au regard de la spécificité que chaque soin présente. Cela fait écho à la conception de l'activité de l'homme que l'ergonomie française symbolise à travers le schéma des 5 carrés de Leplat et Cluny, déjà évoqué dans un précédent post.

Quand le professeur Hirsch met en avant le fait que les soignants ont un sens vocationnel dans leur activité sous-entendant leur engagement sine qua non, le questionnement pouvant émerger serait de se dire si cette « foi inébranlable » n'est pas plus qu'une force...une faiblesse. La question qui  en découle serait de savoir ce qu'il se passerait si les soignants abdiquaient à leur sens vocationnel ? 

     " répondons chiche ! Chiche que cela puisse soulever des problématiques de moyens mis en œuvre, chiche que des politiques puissent être plus alertes à des questionnements éthiques comme le soin à domicile ou le relationnel soignant-soigné, chiche que dans nos sociétés laïcisées, la religiosité dans le soin révèle un anachronisme qui est certainement à la source de dysfonctionnements comme la cohésion entre professionnels, le discours apporté aux patients et les attentes de ces derniers. L'heure est peut-être à un professionnalisme d'état plus qu’à cette vocation individualisée... "

Le positionnement législatif qui centralise le débat sur le patient tend à sous-estimer l'importance d'autres facteurs non imputables à la dynamique du soin. Le soignant est un travailleur comme un autre qui peut se schématiser suivant deux composantes : une première avec ses compétences objectives provenant de son métier et une seconde avec son ressenti subjectif originaire de son bagage socio-familial. Autant le patient a des réactions humaines acceptées et acceptables, autant le soignant a le devoir de non-discrimination (par exemple des toxicomanes), ou le devoir de non-stigmatisation (par exemple des criminels) ou bien même de garder le respect des patients qui ne respectent pas le traitement. Autant dire que pour tout soignant c'est une tâche qui se révèle « presqu'inhumaine ».

L’enseignement pouvant être tiré de cette intervention résonne dans la philosophie du GERAR et son eternel questionnement. Osons une définition de l’éthique : une question émergeante engendre la réflexion et permet l’action.

NS.

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