Parfois cité dans la littérature scientifique, peu connu pour beaucoup, mythe pour d’autres, ou oublié pour certains, l’effet
Hawthorne (EH) nous pose parfois des problèmes. Quel est l’origine de ce
terme et comment intervient-il dans notre quotidien de professionnels de
santé ? Lors de recherches cliniques ayant pour objet l’humain, est-ce que
le sujet (cobaye volontaire) joue-t-il réellement le jeu ou change-t-il sa manière d’agir pour faire
plaisir au chercheur, ou seulement parce qu’il est observé ? Ces questions
n’avaient pas lieu d’être avant les années 1920.
C’est en voulant souligner l’impact de l’environnement sur la
productivité dans une usine appartenant à Hawthorne Works que des chercheurs
ont pu identifier cet effet. Macefield R. [1]
propose dans son article de revenir sur la naissance de l’EH, son impact sur
les études en ergonomie* et les
différentes manières d’empêcher cet EH d’intervenir dans votre étude.
Tout comme l’effet placebo, l’EH est une notion complexe, et cet article
tente de faire le point sur celui-ci.
L’EH se définit pour certains comme l’existence
d’un effet expérimentateur sur le ou les participants d’une étude centrée sur
l’homme. Dans le cas d’études scientifiques sur des patients, cet effet
provoque principalement une augmentation des performances simplement parce que
les patients sont au courant d’être intégrés dans un protocole de recherche
et/ou qu’ils font l’objet d’une étude.
Macefield [1] se penche dans
la première partie de son article sur l’origine de l’EH. C’est lors d’une étude
en 1927 dans l’entreprise d’électricité Hawthorne Works que Snow CE. tente de
mettre en lumière et c’est le cas de le dire, l’impact d’ambiances lumineuses
différentes sur la productivité d’ouvriers. Le protocole est simple : 3
groupes, 3 ambiances lumineuses (faible, ordinaire, forte) et les
expérimentateurs observent les variations de productivité. Résultats :
Aucune différence entre ces 3 groupes couplée à une augmentation de la
productivité. Conclusion : L’augmentation de la productivité des ouvriers
n’est pas dépendante de l’environnement lumineux. Mais pourquoi celle-ci a
augmentée ? Mayo E. membre de l’équipe de recherche en poste à Hawthorne
Works et directeur du département de la recherche industrielle à la Harvard Business
School, proposa différentes hypothèses pour répondre à cette augmentation de
production. Pour lui, les ouvriers ont dû penser que l’ambiance lumineuse
augmenterait leur efficience dans le travail et, que ces mêmes ouvriers ont été
motivés par l’attention des membres de l’équipe de chercheurs. Mayo conclut que
l’attention portée sur ces ouvriers provoqua l’augmentation de productivité et
il ne tarda pas à généraliser ce concept à d’autres types de recherches
scientifiques centrées sur l’homme. Après cette découverte l’EH fut décrit
comme l’amélioration des performances ou
de comportement de personnes impliquées dans une étude, simplement parce
qu’elles sont observées.
Cette interprétation fut remise en cause surtout par Parsons HM. en
1974. Enquêtant et analysant l’étude originale, Parsons souligna que durant
l’étude, les ouvriers prenaient moins de temps de pause et les chercheurs leur
donnaient des renseignements de jour en jour sur leur productivité. De ce fait,
les ouvriers étaient motivés par ces consignes et donc directement intégrés
dans l’étude. Fort de ces constatations, Parsons proposa une nouvelle
définition de l’EH : « l’EH
est la confusion qui existe lorsque le chercheur n’arrive pas à déterminer
comment les performances des sujets affectent ce qu’ils font réellement »
(Traduction libre). L’EH peut contenir alors l’effet de l’apprentissage ou les
retours faits au sujet (feedbacks) afin qu’il puisse corriger son comportement
sur une ou plusieurs tâches. Ces biais méthodologiques étant déjà connus,
Parsons ne comprend pas pourquoi le terme d’EH a été inventé. D’autres auteurs
soutiennent cette conclusion. Le fait de donner des feedbacks et des
ajustements à une tâche est un réel biais dans l’observation d’un éventuel EH.
Bien que certains scientifiques ne comprennent pas trop comment les ouvriers
ont pu apprendre d’une tâche, celle-là même qu’ils réalisent depuis plus de 20
ans. Macefield R. [1] détaille
ensuite dans une deuxième partie de son article, quelques critiques faite par
les pro-Mayo envers les pro-Parsons et vice-versa.
Seulement, ces remarques ne sont pas prises en considération et l’interprétation
de Mayo perdure. Cependant, les nouvelles études s’intéressant à l’EH semblent
accepter de plus en plus la version de Parsons (existence de biais), ne
valident pas la généralisation de l’EH à toute étude centrée sur l’homme et,
par conséquent s’éloignent petit à petit de l’interprétation de Mayo.
L’auteur conclut son article par quelques recommandations :
-
La prise de
position concernant l’EH doit se faire en tenant de son historique et
l’argumentation doit se baser sur toute son histoire. La définition de l’EH est
donc mal utilisée et semble englober un ensemble de biais potentiels au sein
des protocoles de recherche.
-
Il existe des
différences importantes (sujets, objectifs des études, critères de suivi, etc.)
entre l’étude au sein de l’usine Hawthorne Works et celles créées a posteriori
concernant des protocoles d’études d’ergonomie, mais également celles centrées
sur l’homme.
-
Les
investigateurs d’une étude scientifique doivent avant de lancer un protocole de
recherche se mettre d’accord sur l’importance qu’ils donnent à l’EH. Que
disent-ils aux sujets, et de quelle manière. Ces décisions doivent apparaître
si possible dans l’article publié, dans une appendice ou au mieux dans la partie
matériel et méthodes.
-
L’utilisation de
sujets contrôle permet la plupart du temps de minimiser les biais de l’étude.
Ceci permet aussi par la diminution des feedbacks extrinsèques envers les
sujets de se rapprocher d’une validation de définition faite par Parsons HM.
Avis
du GERAR :
L’EH biais méthodologique non avoué ? Surement. Parsons soutient, que
sur l’exemple de Hawthorne, la communauté scientifique est « fainéante,
lorsqu’un concept explique leurs résultats ou observations, elle oublie de réfléchir ».
Il est vrai que de trouver une solution qui convient à tous n’est pas toujours
la bonne. Cette remise en question est alors essentielle pour peser le pour et
le contre d’une théorie afin de savoir si oui ou non elle doit être
réfutée/acceptée. De toute évidence en sciences de la vie, la logique veut que
nous nous basions sur des théories qui ne sont pas fausses et cette dichotomie
entre le vrai et le faux n’est pas prêt de se terminer. La dualité entre
l’empirisme et l’objectivisme pointe également son nez lorsque ces stratégies
facilitatrices sont misent en jeu.
Macefield met également en avant l’intérêt de rechercher la genèse d’une
théorie pour se faire une idée précise des courants qui ont émergés. Il est
toujours intéressant de suivre l’œuvre d’un artiste musical afin de comprendre
par quelles périodes il est passé pour réaliser l’ensemble des compositions
qu’il a enregistrées. Vous n’avez pas le temps ou vous êtes fainéant, un
« best of » est alors attirant. Rapprochons cette métaphore à la littérature
scientifique. L’auteur souligne l’intérêt de rechercher les premiers papiers
énonçant une nouvelle théorie afin de s’en faire son propre avis. Cette
recherche n’est pas toujours évidente et elle nécessite de nombreuses lectures.
Généralement une bonne revue systématique de la littérature ne passe pas à côté
du début d’une théorie ou d’un concept
Mayo défini l’EH comme l’amélioration des performances ou de
comportement de personnes impliquées dans une étude, simplement parce qu’elles
sont observées. Il existe de nombreux essais contrôlés randomisés tentant de
souligner l’intérêt de telle ou telle pratique ou thérapeutique surtout dans le
cas du cancer par exemple. Pour pousser la réflexion et selon l’interprétation
de Mayo, il est possible d’énoncer que le patient intégré dans ce type d’étude
augmenterait sa durée de vie si la durée de vie est normalisé en tant que
performance. A quand dans ce cas, des études avec des biais d’ordre
comportementaux pour augmenter la durée de vie de ces patients en bonne santé.
Fitness Institute of Texas |
Il est simple de faire le parallèle dans notre pratique.
Questionnez-vous, quel thérapeute passe les tests d’évaluation musculaire dans
votre structure ou lieu de pratique ? Est-ce vous, le thérapeute qui a en
charge le patient ou est-ce un thérapeute inconnu et étranger au patient ?
Quelles relations entretenez-vous avec lui ?
Est-il raisonnable de rapprocher l’EH d’un accès d’empathie et/ou une
incapacité du thérapeute à gérer une distance adéquate avec le patient ?
Peut-on alors parler de conflits d’intérêt entre le sujet et l’investigateur
dans les études centrées sur l’homme ? A la manière des chercheurs de
l’entreprise Hawthorne Works influence-t-on le résultat, par des encouragements
ou des feedbacks qui n’ont pas lieu d’être. Un exemple simple : le test de
marche de 6 minutes ne possède pas les mêmes équations prédictives si ce test
se déroule avec ou sans encouragements [2,3].
Biais d’autant plus important si ces feedbacks donnés ne reproduisent pas les
conditions initiales du test d’entrée. Préparer le patient et les intervenants
à des conditions en aveugle est le plus souvent approprié pour limiter certains
biais, comme l’EH.
Les relations que nous entretenons avec un patient influencent-elles sa
rééducation, son autonomie ? Pour tenter de répondre à cette question, le
GERAR propose une étude prospective randomisée qui semble être d’un tout
nouveau genre. L’objectif est de souligner l’impact que possède cette célèbre relation
de « soignant-soigné » sur le devenir fonctionnel du patient. 3
groupes :
-
Groupe 1 :
Prise en charge classique, un patient pour un thérapeute par champ de
compétences
-
Groupe 2 :
Auto-rééducation du patient par un programme d’auto-prise en charge.
-
Groupe 3 :
Un patient pour autant de thérapeutes que de jours de prise en charge (PEC)
Exemple 25 jours de PEC, 25 thérapeutes différentes dans chaque champ de
compétences (APA, MK, etc.)
Les hypothèses qui découlent de ce protocole sont nombreuses mais dans
l’optique de l’impact positif de la relation soignant-soigné, le groupe 1
devrait avoir des résultats meilleurs que le groupe 2 et 3 si l’EH existe selon
l’interprétation de Mayo et selon Parsons, s’il n’existe pas d’effet
expérimentateur, tous les sujets des groupes devraient avoir les mêmes résultats.
N’oublions pas également que le
patient en tant que personne est également une source de biais important, le
profil psychologique et sa participation dans sa rééducation est donc une
notion importante à prendre en compte. Ces 3 groupes nécessitent donc un
« matching »
important afin que ces groupes soient le plus comparable possible. Mais ça,
c’est encore une autre histoire. D’ailleurs si certains lecteurs possèdent des
références sur le sujet, le GERAR est intéressé, laissez vos commentaires en
dessous ou, envoyez-nous un mail.
A vous de choisir désormais, quelle interprétation faites-vous des biais
que vous rencontrez dans votre pratique professionnelle ? Et quel avenir
possède l’EH dans les années qui viennent.
Mentionné dans un article
précédent, Y a-t-il un parallèle à
faire entre l’effet Hawthorne et l’effet placebo ? Les deux
définitions mettent en jeu le patient, certes mais surtout ce qui lui a été
dit. Le conditionnement du patient est alors un facteur important influençant
les réponses du sujet. L’EH pourrait être considéré comme un effet placebo qui
produit l’expérimentateur ou les conditions d’une étude sur le sujet.
L’investigateur d’études scientifiques centrées sur l’homme ne peut se
passer de certaines règles de communication sur les aspects légaux et éthiques
qui doivent être stipulés dans la présentation du schéma de l’étude, comme pour
par exemple, la soumission au programme hospitalier de recherche clinique
(PHRC). Les commissions d’éthiques et législatives permettent ou non la mise en
place de certains protocoles sur des critères aussi simple que la communication
au patient et ce qui lui est annoncé au départ, pendant et à la fin de l’étude.
Le thérapeute aussi se voit dans l’obligation d’instruire le patient
d’informations qu’il juge nécessaire ou que le patient demande.
Pour
les curieux désireux d’approfondir le côté historique de l’expérience
originelle, beaucoup d’informations se retrouvent sur le site de la
Harvard Business School. Une vidéo
intéressante retrace rapidement l’expérience de Hawthorne Works à partir de
1min20. Un autre article s’intéressant à l’EH au travers différents ouvrages se
retrouve à la référence suivante : Olson R, Verley J, Santos L, Salas C.
What We Teach Students About the Hawthorne Studies. Industrial-Organizational
Psychologist. 2004. 41 ;3 : 23-39 - accès
libre / .pdf
*Le terme
« utilisability » a été traduit librement par « ergonomie »
en français, même si la traduction littérale de ce terme est
« utilisabilité ». Mot qui ne trouve pas de réelle définition en
français alors que l’ergonomie, quant à elle, trouve ses objectifs dans l’étude
de l’activité de l’homme dans son environnement.
MV.
[1] Macefield R.
Usability stuides and the hawthorne
effect. Journal of usabilities studies.
2007. 2;3:145-54. – accès restreint.
[2] Enright PL, Sherill DL.
Reference equations for the six minute walk in healthy adults. Am J Respir Crit
Care Med. 1998;158:1384-7 – accès libre.
[3] Troosters T,
Gosselink R, Decramer M. Six minute walking distance in healthy elderly
subjects. Eur Respir J. 1999;14:270-4 – accès libre.
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