10.1.13

L’effet Hawthorne, c’est quoi ?

   Parfois cité dans la littérature scientifique, peu connu pour beaucoup,  mythe pour d’autres, ou oublié pour certains, l’effet Hawthorne (EH) nous pose parfois des problèmes. Quel est l’origine de ce terme et comment intervient-il dans notre quotidien de professionnels de santé ? Lors de recherches cliniques ayant pour objet l’humain, est-ce que le sujet (cobaye volontaire) joue-t-il réellement le jeu ou change-t-il sa manière d’agir pour faire plaisir au chercheur, ou seulement parce qu’il est observé ? Ces questions n’avaient pas lieu d’être avant les années 1920.
   C’est en voulant souligner l’impact de l’environnement sur la productivité dans une usine appartenant à Hawthorne Works que des chercheurs ont pu identifier cet effet. Macefield R. [1] propose dans son article de revenir sur la naissance de l’EH, son impact sur les études en ergonomie* et les différentes manières d’empêcher cet EH d’intervenir dans votre étude.
   Tout comme l’effet placebo, l’EH est une notion complexe, et cet article tente de faire le point sur celui-ci.

   L’EH se définit pour certains comme l’existence d’un effet expérimentateur sur le ou les participants d’une étude centrée sur l’homme. Dans le cas d’études scientifiques sur des patients, cet effet provoque principalement une augmentation des performances simplement parce que les patients sont au courant d’être intégrés dans un protocole de recherche et/ou qu’ils font l’objet d’une étude.

   Macefield [1] se penche dans la première partie de son article sur l’origine de l’EH. C’est lors d’une étude en 1927 dans l’entreprise d’électricité Hawthorne Works que Snow CE. tente de mettre en lumière et c’est le cas de le dire, l’impact d’ambiances lumineuses différentes sur la productivité d’ouvriers. Le protocole est simple : 3 groupes, 3 ambiances lumineuses (faible, ordinaire, forte) et les expérimentateurs observent les variations de productivité. Résultats : Aucune différence entre ces 3 groupes couplée à une augmentation de la productivité. Conclusion : L’augmentation de la productivité des ouvriers n’est pas dépendante de l’environnement lumineux. Mais pourquoi celle-ci a augmentée ? Mayo E. membre de l’équipe de recherche en poste à Hawthorne Works et directeur du département de la recherche industrielle à la Harvard Business School, proposa différentes hypothèses pour répondre à cette augmentation de production. Pour lui, les ouvriers ont dû penser que l’ambiance lumineuse augmenterait leur efficience dans le travail et, que ces mêmes ouvriers ont été motivés par l’attention des membres de l’équipe de chercheurs. Mayo conclut que l’attention portée sur ces ouvriers provoqua l’augmentation de productivité et il ne tarda pas à généraliser ce concept à d’autres types de recherches scientifiques centrées sur l’homme. Après cette découverte l’EH fut décrit comme l’amélioration des performances ou de comportement de personnes impliquées dans une étude, simplement parce qu’elles sont observées.

   Cette interprétation fut remise en cause surtout par Parsons HM. en 1974. Enquêtant et analysant l’étude originale, Parsons souligna que durant l’étude, les ouvriers prenaient moins de temps de pause et les chercheurs leur donnaient des renseignements de jour en jour sur leur productivité. De ce fait, les ouvriers étaient motivés par ces consignes et donc directement intégrés dans l’étude. Fort de ces constatations, Parsons proposa une nouvelle définition de l’EH : « l’EH est la confusion qui existe lorsque le chercheur n’arrive pas à déterminer comment les performances des sujets affectent ce qu’ils font réellement » (Traduction libre). L’EH peut contenir alors l’effet de l’apprentissage ou les retours faits au sujet (feedbacks) afin qu’il puisse corriger son comportement sur une ou plusieurs tâches. Ces biais méthodologiques étant déjà connus, Parsons ne comprend pas pourquoi le terme d’EH a été inventé. D’autres auteurs soutiennent cette conclusion. Le fait de donner des feedbacks et des ajustements à une tâche est un réel biais dans l’observation d’un éventuel EH. Bien que certains scientifiques ne comprennent pas trop comment les ouvriers ont pu apprendre d’une tâche, celle-là même qu’ils réalisent depuis plus de 20 ans. Macefield R. [1] détaille ensuite dans une deuxième partie de son article, quelques critiques faite par les pro-Mayo envers les pro-Parsons et vice-versa.
   Seulement, ces remarques ne sont pas prises en considération et l’interprétation de Mayo perdure. Cependant, les nouvelles études s’intéressant à l’EH semblent accepter de plus en plus la version de Parsons (existence de biais), ne valident pas la généralisation de l’EH à toute étude centrée sur l’homme et, par conséquent s’éloignent petit à petit de l’interprétation de Mayo.

   L’auteur conclut son article par quelques recommandations :
-        La prise de position concernant l’EH doit se faire en tenant de son historique et l’argumentation doit se baser sur toute son histoire. La définition de l’EH est donc mal utilisée et semble englober un ensemble de biais potentiels au sein des protocoles de recherche.
-        Il existe des différences importantes (sujets, objectifs des études, critères de suivi, etc.) entre l’étude au sein de l’usine Hawthorne Works et celles créées a posteriori concernant des protocoles d’études d’ergonomie, mais également celles centrées sur l’homme.
-        Les investigateurs d’une étude scientifique doivent avant de lancer un protocole de recherche se mettre d’accord sur l’importance qu’ils donnent à l’EH. Que disent-ils aux sujets, et de quelle manière. Ces décisions doivent apparaître si possible dans l’article publié, dans une appendice ou au mieux dans la partie matériel et méthodes.
-        L’utilisation de sujets contrôle permet la plupart du temps de minimiser les biais de l’étude. Ceci permet aussi par la diminution des feedbacks extrinsèques envers les sujets de se rapprocher d’une validation de définition faite par Parsons HM.

Avis du GERAR :
   L’EH biais méthodologique non avoué ? Surement. Parsons soutient, que sur l’exemple de Hawthorne, la communauté scientifique est « fainéante, lorsqu’un concept explique leurs résultats ou observations, elle oublie de réfléchir ». Il est vrai que de trouver une solution qui convient à tous n’est pas toujours la bonne. Cette remise en question est alors essentielle pour peser le pour et le contre d’une théorie afin de savoir si oui ou non elle doit être réfutée/acceptée. De toute évidence en sciences de la vie, la logique veut que nous nous basions sur des théories qui ne sont pas fausses et cette dichotomie entre le vrai et le faux n’est pas prêt de se terminer. La dualité entre l’empirisme et l’objectivisme pointe également son nez lorsque ces stratégies facilitatrices sont misent en jeu.
   Macefield met également en avant l’intérêt de rechercher la genèse d’une théorie pour se faire une idée précise des courants qui ont émergés. Il est toujours intéressant de suivre l’œuvre d’un artiste musical afin de comprendre par quelles périodes il est passé pour réaliser l’ensemble des compositions qu’il a enregistrées. Vous n’avez pas le temps ou vous êtes fainéant, un « best of » est alors attirant. Rapprochons cette métaphore à la littérature scientifique. L’auteur souligne l’intérêt de rechercher les premiers papiers énonçant une nouvelle théorie afin de s’en faire son propre avis. Cette recherche n’est pas toujours évidente et elle nécessite de nombreuses lectures. Généralement une bonne revue systématique de la littérature ne passe pas à côté du début d’une théorie ou d’un concept

   Mayo défini l’EH comme l’amélioration des performances ou de comportement de personnes impliquées dans une étude, simplement parce qu’elles sont observées. Il existe de nombreux essais contrôlés randomisés tentant de souligner l’intérêt de telle ou telle pratique ou thérapeutique surtout dans le cas du cancer par exemple. Pour pousser la réflexion et selon l’interprétation de Mayo, il est possible d’énoncer que le patient intégré dans ce type d’étude augmenterait sa durée de vie si la durée de vie est normalisé en tant que performance. A quand dans ce cas, des études avec des biais d’ordre comportementaux pour augmenter la durée de vie de ces patients en bonne santé.

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   Il est simple de faire le parallèle dans notre pratique. Questionnez-vous, quel thérapeute passe les tests d’évaluation musculaire dans votre structure ou lieu de pratique ? Est-ce vous, le thérapeute qui a en charge le patient ou est-ce un thérapeute inconnu et étranger au patient ? Quelles relations entretenez-vous avec lui ?

   Est-il raisonnable de rapprocher l’EH d’un accès d’empathie et/ou une incapacité du thérapeute à gérer une distance adéquate avec le patient ? Peut-on alors parler de conflits d’intérêt entre le sujet et l’investigateur dans les études centrées sur l’homme ? A la manière des chercheurs de l’entreprise Hawthorne Works influence-t-on le résultat, par des encouragements ou des feedbacks qui n’ont pas lieu d’être. Un exemple simple : le test de marche de 6 minutes ne possède pas les mêmes équations prédictives si ce test se déroule avec ou sans encouragements [2,3]. Biais d’autant plus important si ces feedbacks donnés ne reproduisent pas les conditions initiales du test d’entrée. Préparer le patient et les intervenants à des conditions en aveugle est le plus souvent approprié pour limiter certains biais, comme l’EH.

   Les relations que nous entretenons avec un patient influencent-elles sa rééducation, son autonomie ? Pour tenter de répondre à cette question, le GERAR propose une étude prospective randomisée qui semble être d’un tout nouveau genre. L’objectif est de souligner l’impact que possède cette célèbre relation de « soignant-soigné » sur le devenir fonctionnel du patient. 3 groupes :
-        Groupe 1 : Prise en charge classique, un patient pour un thérapeute par champ de compétences
-        Groupe 2 : Auto-rééducation du patient par un programme d’auto-prise en charge.
-        Groupe 3 : Un patient pour autant de thérapeutes que de jours de prise en charge (PEC) Exemple 25 jours de PEC, 25 thérapeutes différentes dans chaque champ de compétences (APA, MK, etc.)

   Les hypothèses qui découlent de ce protocole sont nombreuses mais dans l’optique de l’impact positif de la relation soignant-soigné, le groupe 1 devrait avoir des résultats meilleurs que le groupe 2 et 3 si l’EH existe selon l’interprétation de Mayo et selon Parsons, s’il n’existe pas d’effet expérimentateur, tous les sujets des groupes devraient avoir les mêmes résultats.

   N’oublions pas également que le patient en tant que personne est également une source de biais important, le profil psychologique et sa participation dans sa rééducation est donc une notion importante à prendre en compte. Ces 3 groupes nécessitent donc un « matching » important afin que ces groupes soient le plus comparable possible. Mais ça, c’est encore une autre histoire. D’ailleurs si certains lecteurs possèdent des références sur le sujet, le GERAR est intéressé, laissez vos commentaires en dessous ou, envoyez-nous un mail.
   A vous de choisir désormais, quelle interprétation faites-vous des biais que vous rencontrez dans votre pratique professionnelle ? Et quel avenir possède l’EH dans les années qui viennent.

   Mentionné dans un article précédent, Y a-t-il un parallèle à faire entre l’effet Hawthorne et l’effet placebo ? Les deux définitions mettent en jeu le patient, certes mais surtout ce qui lui a été dit. Le conditionnement du patient est alors un facteur important influençant les réponses du sujet. L’EH pourrait être considéré comme un effet placebo qui produit l’expérimentateur ou les conditions d’une étude sur le sujet.
   L’investigateur d’études scientifiques centrées sur l’homme ne peut se passer de certaines règles de communication sur les aspects légaux et éthiques qui doivent être stipulés dans la présentation du schéma de l’étude, comme pour par exemple, la soumission au programme hospitalier de recherche clinique (PHRC). Les commissions d’éthiques et législatives permettent ou non la mise en place de certains protocoles sur des critères aussi simple que la communication au patient et ce qui lui est annoncé au départ, pendant et à la fin de l’étude. Le thérapeute aussi se voit dans l’obligation d’instruire le patient d’informations qu’il juge nécessaire ou que le patient demande.

   Pour les curieux désireux d’approfondir le côté historique de l’expérience originelle, beaucoup d’informations se retrouvent sur le site de la Harvard Business School. Une vidéo intéressante retrace rapidement l’expérience de Hawthorne Works à partir de 1min20. Un autre article s’intéressant à l’EH au travers différents ouvrages se retrouve à la référence suivante : Olson R, Verley J, Santos L, Salas C. What We Teach Students About the Hawthorne Studies. Industrial-Organizational Psychologist. 2004. 41 ;3 : 23-39 - accès libre / .pdf

*Le terme « utilisability » a été traduit librement par « ergonomie » en français, même si la traduction littérale de ce terme est « utilisabilité ». Mot qui ne trouve pas de réelle définition en français alors que l’ergonomie, quant à elle, trouve ses objectifs dans l’étude de l’activité de l’homme dans son environnement.


MV.

[1] Macefield R. Usability stuides and the hawthorne effect. Journal of usabilities studies. 2007. 2;3:145-54. – accès restreint.

[2] Enright PL, Sherill DL. Reference equations for the six minute walk in healthy adults. Am J Respir Crit Care Med. 1998;158:1384-7 – accès libre.

[3] Troosters T, Gosselink R, Decramer M. Six minute walking distance in healthy elderly subjects. Eur Respir J. 1999;14:270-4 – accès libre.


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