Ce blog a toujours voulu solliciter la rencontre de
différentes disciplines autour d’un but commun : pouvoir objectiver ce que
les soignants font dans leurs pratiques. La pluridisciplinarité est très utile
pour conserver un regard critique sur nos actions. A l’occasion des 50 ans de
la Société d’Ergonomie en Langue française, ce billet a été rédigé dans le but de
promouvoir l’ergonomie en direction des professionnels de santé. Il est
question de présenter la conception de l’ergonomie française qui est
historiquement différente de la vision anglosaxone des « human
factors ». Pour illustrer le propos, nous tenterons de déterminer quel
pourraient-être les champs d’action de l’ergonomie dans le milieu du soin.
Le
dialogue est ouvert pour une activité soignante plus efficiente.
En guise de préambule, même si aucune étude scientifique n’a
été élaborée sur la perception qu’ont les soignants de l’ergonomie (lien
recherche ici), nous ne serions pas surpris d’apprendre que ces
professionnels l’identifient comme une analyse posturale des professionnels au
travail. En effet, ces salariés font souvent état d’une gestuelle répétitive
et/ou trop intense, cette information prise en compte sera remontée aux
responsables de l’organisation du travail. Les accidents de travail et/ou les
maladies professionnelles peuvent alerter également le Comité d’Hygiène, de Santé
et des Conditions de Travail (CHSCT). Les Troubles Musculo-Squelettiques (TMS
ou Musculoskelettal Disorders en anglais ; MSD), un terme devenu très
usuel depuis la fin des années 90, ont été reconnus pour plusieurs, postures
conflictuelles au travail (lien
recherche ici). Force est de constater qu’on a voulu encadrer un panel de
problématiques beaucoup trop large pour les seuls TMS ; devenant l’unique
problématique dans le monde du travail. Est apparue alors une autre
problématique très en vogue depuis les années 2000 dans le monde du
travail : les Risques Psycho-Sociaux (lien
recherche ici) que certains préfèrent qualifier de Troubles Psycho-Sociaux
à l’image des TMS en mettant en évidence les souffrances psychiques au travail.
Définir l’ergonomie :
Pour définir l’ergonomie, la Société d’Ergonomie en Langue
Française (SELF) propose une définition datant de 1969 qui est
la suivante :
« L'ergonomie est l'étude scientifique de la relation
entre l'homme et ses moyens, méthodes et milieux de travail. Son objectif est
d'élaborer, avec le concours des diverses disciplines scientifiques qui la
composent, un corps de connaissances qui dans une perspective d'application,
doit aboutir à une meilleure adaptation à l'homme des moyens technologiques de
production, et des milieux de travail et de vie ».
Cette discipline se concentre sur l’homme en activité, le
plus souvent dans le cadre de son travail. D’après cette définition, il s’agit
de ressortir les déterminants de son activité à travers ses capacités
intrinsèques et les conditions externes que lui offre l’environnement de son
travail. La Self insistait déjà aussi sur la nécessaire pluridisciplinarité à
mettre en œuvre au service de l’homme en activité, appelé aussi opérateur, et
de ses conditions de travail.
Le schéma des 5 carrés :
Pour illustrer la représentation de l’approche ergonomique,
le schéma des 5 carrés de Leplat Cuny [1] reste un gold-standard. Depuis ce schéma de 1974, beaucoup de mises
à jour et de réactualisations ont pu être communiquées mais l’activité humaine
reste dépendante des caractéristiques internes de l’opérateur. Cela parait
évident mais la conception actuelle du travail se rapproche plus de postes
standardisés sans prise en compte des spécificités de chaque opérateur et
le monde des soignants n’est pas épargné par ce phénomène. Observer l’activité
d’un sujet pour pouvoir l’analyser nécessite donc de connaitre les
particularités de ce sujet d’un point vue physiologique, psychologique,
sociologique, professionnelle suivant les hypothèses d’intervention
ergonomique.
Pour permettre la réalisation d’une activité dans le
travail, l’entreprise configure la commande à l’opérateur et les conditions
externes que celles-ci sous-entendent. Cette tache prescrite représente
faussement l’activité réelle pour beaucoup de travailleurs, qu’ils soient les
opérateurs eux-mêmes ou bien le personnel encadrant. Prescrire est une activité
très connue dans le monde du soin car les soignants se réfèrent tout le temps à
la prescription médicale pour discuter travail. Il apparait un écart inévitable
entre l’acte prescrit comme un massage ou une toilette de patient et les
déterminants engagés par ces actes comme les spécificités de chaque patient,
l’expertise des soignants, le moment du déroulement de l’acte et son
environnement. Il en résulte que pour un même acte prescrit, l’activité réelle
qui en découlera sera très variable et ce sera pourtant ce résultat qui sera
déterminant pour l’opérateur et l’entreprise d’un point de vue quantitatif et
qualitatif. Il va de soit que la tache prescrite aille au-delà de la
prescription médicale. Suivant la configuration du cadre de travail, la tache
prescrite comprend la commande de l’employeur, les décrets de compétences les
réglementations de fonctionnement interne comme les protocoles d’hygiène et de
sécurité. Pour illustrer le propos voici une problématique d’écart entre
prescrit et réel : quel soignant a pu respecter dans sa pratique
quotidienne le nettoyage des mains avec la solution hydro-alcoolique suivant
les recommandations gestuelles et temporelles (30 secondes)…
L’une des missions de l’ergonomie sera donc d’objectiver ces
différences pour élaborer des pistes de réflexion et d’amélioration des
conditions de travail pour l’intérêt des opérateurs et de leurs prescripteurs.
Quant à l’activité, prenons l’exemple de celle des soignants
pour une meilleure compréhension. Elle se consacre principalement à soigner le
patient. Si les caractéristiques de l’opérateur sont déterminantes pour
comprendre l’activité de soin, celles du patient en sont tout autant. Se
renseigner sur le profil du patient, les conséquences de sa pathologie et ses
fluctuations amènent le soignant à constituer l’activité de soigner. Par
exemple, l’entourage familial est un composant trop souvent oublié alors que les
soignants interagissent très souvent avec la famille et cela a des conséquences
dans la relation soignant-patient. Tous ces paramètres représentent les
déterminants de l’activité et révèlent qu’il peut y avoir une énorme variabilité
dans le soin prodigué au patient. Soigner c’est aussi une production de service
qui prend en compte la relation humaine et les interactions qui la composent, soignant-patient
mais aussi soignant-soignant. Sommes-nous aux faits de ces questions pour
optimiser le travail des soignant ?
Toutes ces conditions de réalisation de l’activité vont
avoir par voie de conséquence des effets à court, moyen, long terme, sur le
soignant ou l’opérateur lui-même et également des effets sur la tache prescrite
initialement. Ces effets seront déterminants pour l’opérateur afin de
développer les stratégies opératoires le faisant passer au fur et à mesure du
temps du stade de novice au stade d’expert de son travail. A compétences égales, il faut préciser que l’expert n’est
pas meilleur que le nocive et ils amènent tous deux une plus-value par
l’activité en mettant en exergue différentes stratégies opératoires. Ces
stratégies propres à chaque acteur permettront la bonne réalisation de la tache
initialement prescrite en une activité imprégnée de la réalité
circonstancielle.
NS.
[1] Leplat, J., Cuny, X. (1974). Les accidents du travail. PUF, Paris.
"Cette discipline se concentre sur l’homme en activité, le plus souvent dans le cadre de son travail."
RépondreSupprimerLe code du travail définit différents paramètres de pénibilité au travail (http://www.inrs.fr/accueil/demarche/evaluation-risques/penibilite.html ). je pense qu'il en a oublié un : "le vieillissement humain" au cours de sa vie de travailleur? (http://www.cisme.org/wpFichiers/1/1/Ressources/File/ASMT/ERGONOMIE/seniors%201.pdf )
c'est un sujet d'actualité (réforme des retraites)car nos Hommes Politiques semblent ignorer que l'être humain est un être vieillissant (adaptation de la charge de travail tout au long de la vie professionnelle?) ;-)
Merci encore pour votre effort de relever le niveau et un conseil (si je peux me permettre)une rubrique "anglais scientifique" serait la bienvenue...car malgré Google les traductions sont difficiles à comprendre ( http://www.jneuroengrehab.com/content/9/1/28 )
François Angelini
20600 Bastia
Merci pour votre commentaire François,
RépondreSupprimerNous avons lu le document sur le vieillissement au travail. bien écrit et assez didactique
Si la proprioception est un terme difficile à déterminer scientifiquement nous préférons le terme de posture accessible à tous
La créativité est un paramètre très intéressant à développer , auriez vous des méthodes, échelles tests à recommander ?
Enfin la productivité et la performance chez les personnes âgées encore très méconnue nécessite encore un focus plus important encore car il permettrait le dialogue entre tous les acteurs de l'entreprise...