4.5.14

Se réunir pour travailler en équipe


     Le travail en équipe est un élément dans nos pratiques apparaissant de façon quasi-constante que ce soit en pratique institutionnelle ou bien en libéral. Et malgré son aspect à priori central dans le soin, les moyens et les méthodes enseignées sur l'interdisciplinarité restent encore obsolète dans les formations initiales. Suite à une communication à l'occasion du CIFEPK 2014, le GERAR souhaite revenir sur des références utilisées pour mettre l'accent sur des pistes de réflexion (à développer collectivement bien sûr...).
Lin Grimaud [1] est un psychologue-formateur travaillant sur les enjeux d'une équipe de salariés tant dans son origine même que dans son déroulement et son comportement. Il prend en exemple dans cet article les groupes des travailleurs sociaux.


Quid de l'équipe pluridisciplinaire :

Tout d'abord, il est important de réaliser qu'une  équipe pluridisciplinaire est à la fois instance de conception et instance de réalisation :
– conception en intégrant la clinique de chaque professionnel
– réalisation en formalisant un projet sur la base d’une analyse clinique pour mettre en œuvre une prise en charge de l’usager
D'autre part, l’exigence de résultat que représente la construction du projet dans ses trois dimensions complémentaires – projet individuel, projet de service et projet d’établissement – mobilise logiquement le travail clinique. Et pour garantir son efficience, l’équipe pluridisciplinaire se doit de déceler les dérives, comme des communications superficielles ou des quiproqui, par ses moyens propres ou par le concours de tiers compétents.

A partir d’hypothèses qui tiennent compte d’un faisceau d’observations, la synthèse clinique réalisée par l’équipe pluridisciplinaire produit un résultat qualitatif qui constitue le point de départ du projet individualisé. 

Principales étapes d'une réunion de groupe (fig.1) :

Cette réunion peut suivre ce déroulement :
– préparation de la réunion de synthèse (avec/sans l’usager) ;
– présentation de sa clinique par chaque praticien ;
– élaboration pluridisciplinaire de ces résultats ;
– construction des hypothèses autour de la problématique de l’usager ;
– définition technique de l’équipe en fonction de ces hypothèses ;
– rédaction de cette position pour en présenter les termes formalisés à l’usager ;
– discussion de cette position avec l’usager pour formaliser le projet individuel ;
– signature du projet ouvrant droit à la prise en charge ;
– suivi du projet et réajustement entre synthèses.


Figure 1: Schéma récapitulatif de la définition et du déroulement d'une équipe pluridisciplianire.

La rivalité mimétique :

Un autre point de vue inspiré des travaux de René Girard [2], il s'agit de l’étude anthropologique de la subjectivité humaine appelée « rivalité mimétique ». Ce facteur génère la violence humaine et, secondairement, l’ensemble des moyens dont l’humanité tente de se protéger : les lois, règles, rituels et institutions. La rivalité mimétique consiste à désirer ce que l’autre possède ; désir du désir de l’autre au travers de ce qu’il a. Dans le cas d’un groupe dont la vocation est de répondre à des exigences professionnelles, l’absence de règles internes formalisées tout comme l’absence de regard externe constitue des inconvénients majeurs en ce sens que rien ne pourra s’opposer aux flambées de rivalité mimétique. Ces dernières seront toujours mises au compte du « conflit de personnes ». Le conflit interpersonnel est tout ce qui reste comme processus organisateur au sein d’une équipe qui a perdu ou ne s’est jamais donné des principes formalisés de fonctionnement.


Une réunion de synthèse efficiente :

La réunion de synthèse est l’instance où ces processus de rivalité risquent de se déployer le plus âprement du fait d’un manque de règles de prise de parole. La parole devient l’enjeu des influences, du renforcement d’un leadership informel, du détournement d’un territoire institutionnel en territoire privé, de l'explicite à l'implicite. De plus, admettre le débat dès le début de la réunion aboutit à la dégradation de la parole clinique. Il s’agit plutôt, par la règle du tour de parole, de garantir en première partie de réunion des problématiques de la prise en charge. En deuxième partie de réunion, elles pourront alors être discutées directement dans le groupe.

La première règle que préconise l'auteur est le cas où une synthèse dans laquelle un seul participant n’a finalement pas pu présenter sa clinique ne doit pas être validée. Il faut la refaire. Cette règle devra être garantie par le représentant de la direction, présent obligatoirement à la réunion.

Avis du GERAR :

La représentation de l'équipe avec ses aspects de conception et de réalisation nous fait remarquer que le groupe peu  être très évolutif dans sa forme et dans son fond. Sans être exhaustif, le  nombre d'intervenants, la définition du projet, la constitution de groupes de travail peut varier suivant les besoins de l'équipe et sa collégialité. Le but restera de maintenir une cohérence par rapport à la prise en charge du patient (pour Grimaud de l'usager).
Si les Évaluations des Pratiques Professionnelles (EPP) peuvent représenter une valeur scientifique et médicale discutable car elle nécessite des compétences et une logistique peu souvent au rendez-vous, il n'en demeure pas moins qu'elles sont un terrain privilégié pour que chaque professionnel puisse exprimer sa valeur ajoutée sur une problématique de soin. D'autant plus intéressant que les EPP ont un système institutionnalisé permettant de réunir les trois types de projets – individuel, service et établissement.
Concernant le déroulement d'une réunion de synthèse et les étapes qui la composent, il serait intéressant de pouvoir les transmettre dans le cursus des formations initiales. Cela constituerait une mise en application pratique sous forme de travaux de groupes par exemple et non pas théorique comme des expériences rapportées qui éloigneraient l'aspect concret de cet outil multidisciplinaire.
L'argumentation sur la rivalité mimétique nous impose une véritable réflexion sur la vie professionnelle en groupe et tend à vouloir faire une autocritique sur l'existence ou la capacité à travailler en équipe
La fameuse première règle de Grimaud apparaît fondamentale et le GERAR encourage pour que chaque soignant puisse en être garant dans le but d'un déroulement efficient des réunions pluridisciplinaires.

Comme le faisait remarquer Hannah Arendt, il ne s’agit pas seulement de savoir comment fonctionne quelque chose, mais au nom de quel principe nous le faisons fonctionner. Sans quoi nous tombons dans la situation du fonctionnement autoréféré : dans cette forme moderne de tyrannie appelée bureaucratie.

NS.

[1] Grimaud Lin, « Équipe pluridisciplinaire et clinique du projet », VST - Vie sociale et traitements, 2008/2 n° 98, p. 100-109. Accès libre

Tirée de l'article de de Grimaud :
[2] R. Girard, Achever Clausewitz, Carnets Nord, 2007. résumé et critiques littéraires

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