8.8.13

La lecture critique d’un article, question de méthodologie ?

   Salmi LR dans un article de 2004 [1] concluait par « la lecture critique […] est une approche de la littérature qui allie la vision méthodologique au bon sens ». C’est de cette méthodologie que traite ce billet. Du Prel et al. écrivent en 2009 [2] dans une série d’articles sur l’évaluation des publications scientifiques, un article intitulé « Critical appraisal of scientific articles ». Bien que la lecture critique se rapproche plus pour certains d’un mode de pensée, il semble nécessaire pour Du Prel et al. et Tort J. en 2010 [3] que celle-ci suive une méthodologie.   
   Ces auteurs décrivent et critiquent alors chaque point de la méthode IMRaD (Introduction, Méthodes, Résultats, And Discussion) l’intérêt de connaître cette structure. La lecture critique est évaluée aux épreuves classantes nationales, il semble pour Colombet I. en 2010 [4] que la lecture critique ne soit pas si simple à développer et à transmettre. La lecture critique d’un article : question de méthodologie ?



   Constatant que le temps n’augmente pas proportionnellement au nombre d’articles scientifiques rédigés, une sélection est nécessaire. D’autant plus que l’interprétation des résultats est primordiale et que la significativité statistique est la plupart du temps confondue avec la significativité clinique [2]. Avant l’analyse et la critique d’articles, il y a la recherche documentaire [4].

   Avant de démarrer une recherche bibliographique, l’écriture d’un papier scientifique ou même un mémoire de fin d’année, l’auteur doit délimiter correctement son champ d’investigation et se poser la bonne question. La lecture d’une revue de littérature est utile de par son contenu mais aussi par la présence d’importantes références bibliographiques qu’il est souvent inutile d’analyser. Pas de revues de littératures sur le domaine ? Il ne vous reste plus qu’à jouer les enquêteurs sur les moteurs de recherche de diverses bases de données. Le titre de l’article est alors un indice intéressant dans la sélection même si parfois ceux-ci ne sont pas toujours bien explicite. L’auteur souligne l’importance de ne pas s’arrêter aux résumés des articles sélectionnés même si certains résument plutôt bien l’article. Un résumé de moins de 500 mots ne peut se substituer à un article entier. [2]

   La méthodologie de la lecture critique semble prendre naissance avec le JAMA dans les années 1990 avec la publication « User’s Guides to the Medical Litterature », articles émancipant l’evidence-based of Medicine à la recherche d’un seul et même objectif : qu’apportent les résultats à ma pratique et comment les exploiter ? [4]
   Son enseignement est dépendant du niveau des enseignants habitués à cette lecture. Ne pas oublier que des notions en biostatistiques, en méthodologie de recherche, en épidémiologie clinique sont nécessaires pour parfaire sa pensée critique [4]. Une bonne compréhension de l’anglais est également un pré-réquis important. L’enseignement de la lecture critique doit donc se faire par des méthodologistes et des cliniciens. Leur coordination avec un enseignant en anglais scientifique semble être une bonne solution pour faire comprendre aux étudiants l’intérêt d’une analyse critique [4].

   Indépendamment du type d’étude, la structure d’un article scientifique original suit presque toujours la forme IMRaD. Pour résumer de manière succincte la structure IMRaD, Tort J [3] synthétise dans le tableau suivant les notions qui doivent apparaître dans les différents paragraphes IMRaD.

   Que rédige-t-on dans les sous parties de la structure IMRaD ? Les réponses sont-en dessous :

Introduction :
   Son intérêt réside dans une plongée théorique du domaine dans lequel est écrit l’article. L’auteur relève les connaissances les plus récentes du domaine qu’il veut approfondir. Les conclusions et/ ou résultats des études citées doivent être détaillés. Toute affirmation est donc référencée et les approximations sont à bannir car elles ne suivent pas un raisonnement scientifique basé sur les preuves [2]. Il est alors conseillé de partir d’un état des lieux général sur la question pour terminer par des données précises et spécifiques. [2] Cette partie justifie l’étude ou l’hypothèse et le contexte dans laquelle elle est réalisée. [3] De plus, les dernières phrases présentent l’étude et le type de protocole, permettant ainsi de vérifier si celui-ci est en adéquation avec les objectifs énoncés. [4]

Méthodes :
   Prel et al. [2] comparent cette section à un livre de recettes où tout est explicité afin de pouvoir réitérer l’étude. Il est essentiel d’analyser la manière dont est construite l’étude pour savoir si la méthodologie et le protocole répondent à la question posée en fin d’introduction. Tous vos choix doivent être argumentés, le recueil des données et les analyses statistiques doivent être argumentés ou justifiées [2-3]. Afin de rendre cette partie la plus claire possible, des recommandations internationales existent pour aider les auteurs dans leur rédaction. C’est le cas par exemple du consolidated standards of reporting trials (CONSORT). Vous retrouverez d’ailleurs d’autres conseils et recommandations de publications sur le site Equator Network.

   La partie méthodes, ou matériel et méthodes inclue les critères d’inclusions et d’exclusions, le taux de réponses ou d’inclusion des sujets ayant terminé l’étude, etc. Au final les données traitées et celles perdues doivent être visibles. Les techniques de mesures, d’évaluations et de traitement des données doivent être également bien détaillées. Le lecteur doit avoir tous les indices sous les yeux concernant l’analyse descriptive de la population et de la méthodologie employée lors des temps d’évaluation. Les tableaux et graphiques possèdent ici, un rôle important pour que le lecteur puisse avoir une vision d’ensemble de l’étude réalisée. Cette partie rend compte du sérieux des chercheurs dans la passation des tests, la gestion de leur protocole et le traitement des données. [3]

Résultats :
   Cette partie rend compte de la manière la plus objective possible du traitement statistique des données. Aucune interprétation n’est admise, celle-ci rentre en compte dans la partie discussion. Le choix des figures et des tableaux doit être réfléchi car leur but est de rendre compte d’un simple coup d’œil des relations existantes entre les variables étudiées.
La clarté de cette section doit éviter les redondances ou répétitions dans les analyses et doit être en cohérence avec le texte. Les résultats sont énoncés le plus clairement possible et les relations entre les différents paramètres étudiées sont mises en lumière par le traitement statistique [3].

Discussion :
   Pour Prel et al. [2], l’honnêteté et la franchise sont de mise dans cette section qui se divise en 2 parties importantes. La première se résume à une comparaison entre les résultats obtenus après votre expérimentation et les résultats des différentes études de la littérature scientifique. Vos résultats sont en accord avec ceux de la littérature ? Qu’apportent vos résultats et concordent-ils avec les hypothèses que vous avez posées au départ de votre article ? Est-ce que ces résultats posent-ils d’autres questions et renvoient à d’autres problématiques ?
La deuxième partie est axée sur une autocritique de l’étude, des limites et biais du protocole mais aussi des relations ou adaptations qui peuvent se créer ou exister avec le terrain. Cette partie est alors une remise en question des résultats, les évaluer, sans oublier les différences entre le cliniquement significatif et le statistiquement significatif.

Conclusions :
   La conclusion met en valeur les résultats les plus importants de l’article. Il ne faut cependant pas tomber dans des conclusions hâtives prenant en compte les résultats de l’étude comme vérité absolue [2-4]. Il faut garder en tête que la preuve ne s’obtient pas en seule étude, une étude rend compte la plupart du temps d’une tendance. Votre étude possède forcément des faiblesses et il faut absolument les souligner. La conclusion permet au lecteur de faire un lien direct avec sa pratique en proposant, la plupart du temps, des recommandations ou des ouvertures sur d’éventuelles futures investigations.

Bibliographie :
   Les références bibliographiques suivent la mise en forme dictée par la revue scientifique. L’objectif est de donner plus amples informations pour le lecteur désireux d’investiguer plus sérieusement la thématique de l’article. Il va donc de soi que ces références doivent être les plus récentes possible pour donner au lecteur un article qui soit en lien avec un savoir récent et mis à jour.

Conflits d’intérêts :
   Avez-vous utilisé un matériel qu’un équipementier vous a prêté ? Avez-vous reçu une aide financière d’un organisme pour effectuer votre étude ? Il est important de signaler tous conflits d’intérêts rentrant en jeu dans l’article scientifique. Ces conflits d’intérêts influencent la conclusion voire même, pour certains chercheurs peu scrupuleux, les résultats.

Ci-après la "check-list" de l'article de Du Prel et al. [2].



Avis du GERAR :
   Ces articles sont intéressants dans le sens où ils exposent et décrivent le contenu de chaque partie de la structure IMRaD. C’est une aide importante lorsqu’à force d’avoir la tête dans le guidon pendant la rédaction de vos articles ou mémoires de fin d’années, il est toujours bon de se relire et de vérifier si vos parties respectent les principes énoncés précédemment.
La structure IMRaD permet de mieux construire son plan pour un mémoire de fin d’étude et évite la rédaction de parties sans queues ni tête. Vous gagnerez donc du temps en délimitant correctement vos parties sans rajouter des détails superflus.
   La partie matériel et méthodes peut permettre de mieux construire son protocole d’étude ou de recherche, les biostatistiques et les biais peuvent d’ores et déjà être prévus et les limites de votre étude misent en valeur au regard de cette partie.
Il nous semble important de souligner que l’introduction est nécessaire car elle renvoie aux dernières publications dans le thème de votre article, mais elle peut aussi faire l’objet de rédaction dirigée dans le sens de l’hypothèse en oubliant certaines études allant à l’encontre de celle-ci. La revue de littérature doit pouvoir donner tous les indices au lecteur.

    Les résumés ou abstract des articles sont parfois écrits pour que les lecteurs lisent l’article, voire achètent sur les sites des revues en ligne. De ce fait, les résumés ne reflètent pas tout le temps les conclusions de l’article. Lire le résumé peut parfois être trompeur, passage obligatoire lors de recherches sur les moteurs de recherches, mais il semble que la lecture de la partie matériel et méthodes soit parfois plus efficace. Les illustrations peuvent parfois rendre de compte de conclusions hâtives, par exemple prenez le temps d’analyser les axes des graphiques.

   Connaissez-vous beaucoup de collègues étant initiés à cette démarche critique d’articles ? Ne revenant pas sur le manque d’intérêt de certains pour les publications scientifiques, quelles sont les barrières pour acquérir cette démarche ? Sont-elles les mêmes que pour mettre en place des prises en charge basées sur l’Evidence-Based Medicine, c'est-à-dire le manque de temps et/ou de formation ? Pour citer Colombet I. [4] : « Ou encore également d’une difficulté de conciliation d’un modèle objectiviste d’une médecine scientifique à celui, plus subjectiviste, d’une médecine soignante ? »

   Il faut également penser la lecture critique par son aspect transversal [4] que nous pouvons comparer à la remise en cause des connaissances dictée par l’EBM, mais aussi la rapprocher à la zététique. De plus, la coopération de différents professionnels autour d’un article peut se rapprocher d’un travail d’équipe pluri voir même interdisciplinaire. Ce qui ouvre alors l’analyse sous d’autres modalités, par conséquent la relation avec le terrain est alors plus aisé lorsque différents professionnels se retrouvent pour analyser l’article. C’est ce que tente de faire le GERAR en lisant, analysant, vérifiant, critiquant, et validant toutes les critiques d’articles que nous mettons en ligne.

   Ce ne sont pas les seuls articles qui existent sur le thème de l’analyse critique d’articles, une petite recherche bibliographie avec des mots clés bien choisis et vous trouverez pas mal d’articles et des ouvrages sur ce thème.


[1] Salmi LR. Lecture critique d’un article médical: à la recherche des innovations réellement utiles. EMC Médecine. 2004 ;1 :178-86 – Accès restreint.

[2] Du Prel JB, Röhrig B, Blettner M. Critical Appraisal of Scientific Articles. Dtsch Arztebl Int 2009; 106(7): 100–5. – Accès libre.

[3] Tort J. Lecture critique d’un article médical scientifique. Rev Sage-Femme. 2010; 9, 309-11. – Accès restreint.

[4] Colombet I. Lecture critique d’article en médecine palliative : tentative de conciliation. Med pallia. 2010 ;9 :242-50 – Accès restreint.

2 commentaires:

  1. "la significativité statistique est la plupart du temps confondue avec la significativité clinique [2]." j'aime! EFFECTIVEMENT, plus je lis d'articles scientifiques (en anglais s'abstenir ;-( ), plus je me dis que du moment que l'on "s'occupe" (bienveillance) du malade, on aura un "bon" résultat clinique? En effet aussi, les chiffres (séries statistiques de malades) ne s'accordent pas avec la clinique (chaque malade est particulier...et donc où est la science là-dedans?). Ou encore, le résultat statistique pourra-t-il être "transférer" à la clinique? http://www.em-consulte.com/article/257997/article/les-difficultes-du-transfert-des-connaissances-sci

    F. Angelini
    20600 Bastia

    RépondreSupprimer
  2. http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1779012310748816

    F Angelini
    20600 Bastia

    RépondreSupprimer

Printfriendly



Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...